Au moment où l’Europe rend les conditions d’obtention d’un visa Schengen de plus en plus drastiques, où les refus de visas s’empilent, une injustice saute aux yeux. Si le visa est refusé, la somme versée pour sa demande est conservée. Et les sommes ne sont pas minimes.
En 2023, les ressortissants africains ont ainsi reçu 704 000 réponses négatives à leurs demandes de visa. Ce qui représente 56,3 millions d’euros payés en pure perte. Une somme qui va encore gonfler. Désormais, depuis le 11 juin, il faut débourser 10 euros de plus, soit 90 euros, pour faire une demande de visa court séjour pour rejoindre l’espace Schengen. En plus de déposer la plupart des demandes de visa, les ressortissants du continent africain sont également les demandeurs les plus rejetés. En 2023, les pays africains et asiatiques ont supporté 90 % des coûts des visas Schengen refusés évalués à 130 millions d’euros, selon une étude de EU Observer.
Palmarès des perdants
Les demandeurs algériens ont payé le plus lourd tribut des refus de visa dans l’espace Schengen en 2023. Ils ont versé plus de 13 millions d’euros pour 166 200 demandes rejetées. Ainsi, sur les 474 032 demandes déposées par les Algériens, 35 % ont été écartées. Au niveau individuel, le montant de la demande de visa à 80 euros représente plus du tiers du salaire moyen algérien.
Viennent ensuite, les Égyptiens (3,7 millions d’euros), les Nigérians (3,4 millions d’euros) et les Tunisiens (3,1 millions d’euros). Au 6e rang du nombre de demandes refusées, les Sénégalais ont déboursé 2,11 millions d’euros pour ne pas avoir de visa. Au total, ces 56 millions perdus par les Africains en visas refusés représentent 43 % des sommes perdues par les ressortissants non européens, dont le visa Schengen a été refusé.
Demande de restitution
Ces sommes dépensées à fonds perdu par les Africains sont considérées comme des « transferts de fonds inversés » ne bénéficiant qu’aux pays de l’Union européenne (UE). « L’inégalité des visas a des conséquences très tangibles et les plus pauvres du monde en paient le prix », constate Marta Foresti, fondatrice du collectif LAGO, auprès de UE Observer. « Nous n’entendons jamais parler de ces coûts lorsqu’on parle d’aide ou de migration, il est temps de changer cela », poursuit-elle.
Régulièrement, les associations de la société civile se mobilisent. En 2022, dans une lettre adressée à l’ambassadrice de France à Rabat, Hélène Le Gal, la Fédération marocaine des droits du consommateur (FMDC) réclamait la restitution des frais des visas non délivrés par les consulats de France.
Une demande restée lettre morte. La même année, des organisations des deux rives de la Méditerranée avaient dénoncé, dans un appel commun, « la politique des visas : discriminatoire et injuste » et des procédures « extrêmement coûteuses et sans remboursement en cas de refus ».
De son côté, l’Union européenne ne s’étend pas trop sur le sujet. « Les revenus supplémentaires générés par les demandes de visa seront réinvestis pour mettre à disposition davantage de ressources – y compris du personnel – pour le traitement des demandes de visa, assure la Commission. Cela devrait permettre de réduire le temps d’attente pour les rendez-vous pour un visa Schengen, car les consulats seraient en mesure de traiter davantage de demandes », explique le site d’actualité InfoMigrants.
Des visas plus chers…
Ces sommes pourraient être encore plus élevées l’an prochain avec une facturation du visa qui passe de 80 à 90 euros. La Commission européenne a imputé cette hausse à l’inflation dans les États membres et assure que les frais sont encore « relativement bas » par rapport à d’autres pays. À titre de comparaison, un visa pour le Royaume-Uni s’élève à 134 euros et 185 euros pour les États-Unis.
La Commission a également proposé de permettre aux fournisseurs externes de visas Schengen d’augmenter leurs tarifs en fonction de la révision. Le montant maximum que les prestataires externes, tels que les agences de visas, peuvent facturer est généralement égal à la moitié du tarif standard. Seule bonne nouvelle, les frais de prolongation d’un visa Schengen resteront fixés à 30 euros.
… et des sanctions
L’Union européenne utilise le visa comme un outil politique à l’égard des pays qui font preuve d’une « coopération insuffisante en matière de réadmission » de leurs ressortissants séjournant illégalement dans les pays de l’UE. Ainsi, en avril dernier, le Conseil de l’UE a décidé d’imposer des sanctions à l’Éthiopie. Désormais, les délais de traitement des visas passent de quinze jours à quarante-cinq jours, les demandes de visas à entrées multiples ne sont plus autorisées et les titulaires de passeports diplomatiques ne seront plus exemptés des frais de visa. En revanche, les restrictions de visas imposées à la Gambie ont été levées après que le taux de retour des migrants est passé de 14 % en 2022 à 37 % en 2023.
Au-delà des 56 millions perdus pour visas refusés, les sommes engagées pour obtenir un visa peuvent être bien plus élevées. Quid des frais perçus par les agences de traitement des visas (des frais théoriquement plafonnés à la moitié du montant du visa) ? Mais aussi des frais encaissés par des intermédiaires (illégaux) pour réserver des rendez-vous auprès de ces agences qui s’occupent du traitement des visas ?
Ces frais peuvent aller de 50 euros à 250 euros, voire 600 euros pour des demandeurs crédules et pressés. Un business illégal, qui échappe à tout contrôle. Au Sénégal, vingt-sept organisations de la société civile ont réclamé l’an dernier une réforme de la procédure de demande des visas, dénonçant une externalisation auprès de prestataires privés et un trafic de rendez-vous.
Néanmoins, un visa pour le Royaume-Uni s’élève à 134 euros et 185 euros pour les États-Unis. Bien plus cher que l’Union européenne.
Avec Le Point