Comment sauver la place de la France en Afrique ? Le rapport de la mission d’information parlementaire présenté mercredi 8 novembre en commission des affaires étrangères peut être lu comme un guide de survie en temps de crise. Face aux manifestations d’hostilité envers la politique française en Afrique, les députés Bruno Fuchs (Mouvement démocrate) et Michèle Tabarot (Les Républicains), corédacteurs du rapport de 175 pages, dissèquent cette lame de fond qui, alertent-ils, « risque de se propager sans que notre pays puisse réagir ».
Durant plusieurs mois, ils ont auditionné chefs d’Etat, diplomates et militaires, en France et en Afrique francophone – hors Maghreb –, pour sonder les ratés de Paris sur le continent. Et leur constat est implacable.
D’emblée, les deux députés pointent l’incohérence du discours français à l’égard des Etats africains. Si, dès son premier mandat, Emmanuel Macron a, comme ses prédécesseurs, promis de tourner la page des relations troubles de la Françafrique au profit d’une stratégie tournée vers les sociétés civiles, il n’a pas réussi à enterrer l’image d’une France alliée des régimes autoritaires. Sa présence aux obsèques d’Idriss Déby Itno, au Tchad en 2021, assis au côté de son fils et successeur, le général Mahamat Idriss Déby, a été perçue par les opinions africaines comme l’adoubement d’une transition familiale hors de toute légalité constitutionnelle.
La France s’est en revanche montrée inflexible face aux juntes au Mali, au Burkina Faso ou plus récemment au Niger, en refusant de reconnaître les nouvelles autorités militaires de ce pays. Une attitude qui rend, selon les auteurs du rapport, la doctrine française illisible. « Ne pas mettre fin à cette politique du double standard, c’est continuer à nourrir le scepticisme et le rejet, et à alimenter le fantasme d’un agenda français caché », notent-ils, préconisant une « juste distance ».
« Il faut poursuivre le plaidoyer sur nos valeurs démocratiques, mais ne pas s’ingérer dans les affaires intérieures. Sur la question LGBT notamment, qui est criminalisée dans de nombreux pays, arriver en disant que nous, Français, avons raison, qu’il faut se plier à nos valeurs, c’est accentuer le rejet. Quand nous traitons avec les Chinois, les Qataris ou les Saoudiens, nous ne faisons pas de leçon de morale sur la démocratie », explique Bruno Fuchs.
Prééminence des militaires sur les diplomates
De manière générale, les parlementaires regrettent une méconnaissance du continent chez les acteurs impliqués dans la politique française en Afrique. « Rares sont ceux qui comprennent vraiment l’Afrique dans sa subtilité », écrivent-ils, avant de fustiger une vision de l’Afrique teintée de « référentiels hérités de l’ère de la Françafrique et volontiers essentialistes ».
Depuis l’intervention au Mali en 2013, la politique africaine de la France souffre aussi, selon eux, de la prééminence des militaires au détriment des diplomates. Pour attirer ces derniers sur le continent, le rapport préconise la création d’une filière « Afrique » au Quai d’Orsay et la nomination d’ambassadeurs issus de la diaspora africaine.
Les parlementaires se montrent tout aussi cinglants envers la politique d’aide publique au développement (APD). « Pilotage politique défectueux », « efficacité contestable » : le bilan dressé démolit l’action menée au nom de la coopération internationale en Afrique. Même quand ils concèdent à Emmanuel Macron d’avoir tenu ses engagements en augmentant fortement l’APD, ils concluent par ce constat d’échec : « La France souffre […] d’un paradoxe préjudiciable : elle est dotée d’un outil de développement qui n’a jamais été aussi puissant et aussi peu visible sur le terrain. » Quelque 15,5 milliards d’euros ont été accordés au continent sous forme de prêts ou de dons entre 2020 et 2022.
L’Agence française de développement (AFD), qui, depuis la disparition du ministère de la coopération, est devenue l’opérateur tout-puissant de la politique d’aide, est la cible principale des parlementaires. Placée sous la double autorité des ministères de l’économie et des affaires étrangères, l’AFD est accusée d’avoir profité de cette tutelle bicéphale pour s’autonomiser, au point de rendre « quelque peu illusoire toute volonté de contrôle sur l’agence ».
Une situation jugée problématique dès lors que ses résultats ne sont « pas toujours perceptibles par les populations locales, soit que l’argent ne leur parvienne pas, soit que l’AFD se montre incapable de mettre en valeur son action et ses projets ». A l’extrême, cette situation conforte « l’opinion grandissante qu’il s’agit pour la France d’une façon de renforcer les régimes politiques en place ». Le rapport déplore ainsi que près de 30 % des financements soient consacrés à des grands projets d’infrastructures, « là où les Africains auraient besoin d’investissements dans la formation ou de petits projets réalisables rapidement avec des résultats visibles à court terme pour les populations locales ».
La refonte de l’AFD que demandent les députés, proposant au passage de la rebaptiser « France Partenariat », ne débouche pas cependant sur des propositions novatrices, mais s’inscrit dans une approche conservatrice de l’aide comme outil d’influence et de rayonnement de la France. Dans cette logique, les députés plaident donc pour la restauration d’un ministère de la coopération et, de manière plus anecdotique mais non moins significative, pour inciter l’AFD à faire davantage la publicité de ses projets afin de « renforcer la visibilité des actions de la France en Afrique ».
Une politique des visas perçue comme « humiliante »
Autre épine dans les relations franco-africaines, la politique des visas, perçue comme « humiliante » par les élites africaines. « On lance toujours plus de projets ouverts aux sociétés civiles, chercheurs, artistes, or ils peinent à décrocher un visa. Il y a urgence à repenser notre politique », plaident les auteurs en donnant l’exemple du vice-président de l’Assemblée nationale du Cameroun, muni d’un passeport diplomatique et qui s’est vu refuser un visa pour se rendre à une conférence sur la francophonie.
Il y a enfin les postures et les mots qui abîment la relation franco-africaine. Le « tutoiement facile de certaines autorités françaises à l’égard de leurs aînés africains », « l’appel du président Nicolas Sarkozy à ce que l’homme africain entre dans l’histoire, prononcé lors de son discours de Dakar de 2007, ou les propos du président Emmanuel Macron à l’égard du président burkinabé, mué, le temps d’une plaisanterie prononcée dans un souci de complicité avec un amphithéâtre d’étudiants, en réparateur de climatisation », ont eu un effet dévastateur sur les opinions, selon les auteurs.
Malgré ce diagnostic critique, les députés jugent encore possible d’inverser le cours de choses. « Beaucoup d’interlocuteurs africains disent vouloir de la France, mais autrement. Il n’y a pas de sentiment antifrançais, mais un sentiment d’incompréhension et de frustration face à des choix politiques contestés », conclut Bruno Fuchs.