TARIQ RAMADAN, figure contestée de l’islam européen

L’islamologue suisse Tariq Ramadan a été mis en examen pour viol et incarcéré vendredi 2 février. Personnalité influente et controversée au sein de l’islam européen, il a, depuis plusieurs années, perdu en influence en France.

Le théologien musulman controversé Tariq Ramadan a été mis en examen vendredi 2 février pour viol et viol sur personne vulnérable, et incarcéré au terme de deux jours de garde à vue, a-t-on appris de source judiciaire. Visé par deux plaintes pour des faits qui auraient été commis en France en 2009 et 2012, l’islamologue suisse a demandé qu’un éventuel placement en détention provisoire, requis par le parquet, fasse l’objet d’un débat ultérieur entre le juge des libertés et de la détention et sa défense. Dans l’attente de ce débat qui doit avoir lieu sous quatre jours, il a été incarcéré.

POLÉMISTE REDOUTABLE

La personnalité de Tariq Ramadan, citoyen suisse d’origine égyptienne âgé de 55 ans, titulaire d’un doctorat de l’université de Genève, est un épais dossier à elle seule. Ses talents d’orateur dans les nombreuses conférences et sur les réseaux sociaux séduisent les milieux musulmans, mais sont ardemment combattus par les sphères laïques, qui accusent l’intellectuel de dissimuler le projet d’un islam politique, voire radical, sous couvert de discours réformiste.

Dans les faits, le petit-fils du fondateur de la confrérie égyptienne islamiste des Frères musulmans, Hassan el-Banna, émerge sur la scène médiatique européenne dans les années 1990. À l’époque, une jeunesse éduquée issue de l’immigration s’identifie aux succès de ce lettré polyglotte et moderne, portant beau et parlant bien, et qui reste à distance de gestionnaires de mosquées peu représentatifs ou d’imams médiatiques discrédités.

En 1995, au lendemain d’attentats djihadistes en France, le ministre de l’Intérieur Charles Pasqua lui avait interdit, sans justification précise, l’entrée sur le territoire français. Il semble qu’il ait été confondu avec son frère Hani, plus sulfureux. Barbe grise soigneusement taillée, ce polémiste redoutable a croisé le verbe avec ses plus virulents adversaires, comme les essayistes Éric Zemmour et Caroline Fourest, qui lui reprochent un discours fluctuant selon qu’il s’exprime en arabe ou en français, et en présence ou non de non-musulmans.

DOUBLE DISCOURS

Parfois taxé de conspirationnisme, sinon d’antisémitisme – une accusation que cet antisioniste balaye au nom du droit à la critique de l’État d’Israël –, Tariq Ramadan a été accusé de faire le lit du communautarisme, de pousser les jeunes filles à se voiler et de masquer un fondamentalisme religieux sous un discours moderniste. Il réfute ces critiques, affirmant qu’il incite les jeunes musulmans à s’impliquer dans la société, que le port du voile relève de la liberté individuelle, qu’il prône une lecture « contextualisante » des textes sacrés et qu’il rejette le jihad armé.

Marié depuis plus de 30 ans à une Française convertie et père de quatre enfants, Tariq Ramadan avait été interdit de visa de la part des États-Unis en 2004 sous l’ère de George W. Bush, alors qu’il devait prendre un poste à l’université Notre-Dame dans l’Indiana. Le printemps arabe a constitué une « réponse cinglante et imparable » à « toutes celles et à tous ceux qui ont décrit et peint les musulmans comme impénétrables aux idées de liberté et de démocratie », écrivait-il en 2010.

À l’hiver 2015, Tariq Ramadan appelle les musulmans en France à tenir « un discours extrêmement clair sur l’islam » après les attentats de Paris, mais craint que l’état d’urgence ne renforce leur stigmatisation au sein de la société.

NATIONALITÉ FRANÇAISE REFUSÉE

L’année suivante, dénonçant les « propos nauséabonds » entendus lors des « discours sur la déchéance » de la nationalité et un « racisme structurel » en France à l’égard des musulmans, en particulier sur le marché de l’emploi, le prédicateur annonce son intention de demander la nationalité française et de devenir Franco-Suisse, afin de « donner un exemple concret et positif d’adhésion aux valeurs de la République ».

Le Premier ministre Manuel Valls estime en retour qu’il n’y a « aucune raison » d’accéder à cette requête, le message de Tariq Ramadan étant, selon lui, « contradictoire » avec ces valeurs. Depuis les plaintes pour viols déposées contre lui, les langues se sont déliées jusque dans les rangs musulmans contre ce séducteur dépeint en guide spirituel usant, voire abusant, de son aura.

Ces dernières années, son influence avait semblé décliner quand progressait l’islam plus rigoriste et moins intellectuel incarné par des prédicateurs salafistes. Le « professeur Ramadan » continue toutefois de diriger un Institut islamique de formation à l’éthique (IIFE), à Paris. Ces plaintes ont conduit à sa mise en congé de son poste de professeur d’études islamiques à la prestigieuse université d’Oxford (Royaume-Uni), chaire qu’il occupait depuis 2005. Il a rejeté les accusations portées contre lui par deux femmes à l’automne 2017 en les assimilant à une « campagne de calomnies ».

Avec AFP

 

 

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