Les journalistes et les médias sénégalais risquent de vivre une période sombre d’ici la présidentielle de 2024. Macky Sall et son régime ont décidé de dérouler le rouleau compresseur.
Le journaliste Serigne Saliou Guèye, Directeur de publication du quotidien Yoor-Yoor, a été envoyé hier en prison. Entre autres griefs, il lui est reproché la diffusion de fausses nouvelles et l’exercice illégal de la fonction de journaliste. Cette dernière charge est retenue contre lui parce qu’il n’a pas de carte de presse. Ce journaliste proche du Pastef rejoint ainsi en prison Pape Ndiaye, son confrère de Walf tv.
Ce dernier a été placé sous mandat de dépôt depuis plus de deux mois pour outrage à magistrat et diffusion de fausses nouvelles entre autres charges. En vérité, la diffusion de fausses nouvelles est en train de devenir pour les journalistes sénégalais ce que l’article 80 est pour les hommes politiques, activistes et autres membres de la société civile.
En effet, Pape Alé Niang, un autre journaliste proche de Pastef est sorti de prison il n’y a pas longtemps et placé sous contrôle judiciaire. Parmi les griefs retenus contre lui, la diffusion de fausses nouvelles (encore).
A propos du cas Serigne Saliou Guèye, le syndicat des professionnels de l’information et de la communication du Sénégal (Synpics) dénonce le traitement qui lui est réservé, différent de ce qui a été constaté ces derniers temps. « Le SYNPICS s’étonne que pour des incriminations similaires, des mis en cause aient pu bénéficier, suite à l’ouverture d’information judiciaire à leur encontre, d’une mise en liberté provisoire et/ou du port d’un bracelet électronique », écrit dans un communiqué le syndicat dirigé par Bamba Kassé.
Aujourd’hui, après les récriminations du chef de l’Etat, le pouvoir semble décider à dérouler le rouleau compresseur sur la presse (journalistes et supports) et les réseaux sociaux. A quelques mois de la présidentielle de 2024, les emprisonnements se multiplient contre les journalistes d’une part, et d’autre part, les acteurs politiques, activistes et autres pour des publications sur les réseaux sociaux. Beaucoup de jeunes sont en prison suite à des posts sur Facebook, twitter…, alors que le chef de l’Etat est soupçonné de vouloir éliminer son principal opposant (comme en 2019), Ousmane Sonko et briguer un troisième mandat.
Pourtant, rien ne devait surprendre, si on avait suivi le régime de très près sur ce point, Macky Sall en particulier. En février 2021, Seneweb avait publié un article intitulé : sorties répétées sur les médias : Les intentions suspectes de Macky Sall. L’article était parti d’un constat selon lequel le chef de l’Etat se prononçait de plus en plus sur le contenu des médias et des réseaux sociaux, alors qu’il était resté indifférent durant son premier mandat.
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« L’impératif d’actualiser les cahiers des charges »
A partir de fin 2020, il avait subitement eu un intérêt particulier pour les médias en ligne et les réseaux sociaux ; et pas forcément dans le bon sens, puisque depuis lors, il les accuse d’être « une des menaces les plus sérieuses à la paix, à la sécurité et à la stabilité de nos pays ». Le mercredi 3 février 2021, il demande à son gouvernement, en conseil des ministres de veiller à la qualité des programmes des radios et télévisions. « Ces contenus doivent renforcer la paix sociale, la cohésion nationale, l’autorité de l’État et les intérêts du Sénégal », disait-il.
Afin de mieux s’assurer d’avoir la main sur les supports médiatiques, il demande la réactualisation du cadre juridique et administratif dans l’audiovisuel et la presse en ligne. Prenant prétexte du ‘’contexte de transformation digitale’’, Macky Sall rappelle « l’impératif d’actualiser les cahiers des charges opposables aux radios et télévisions, en veillant dans le cadre de l’ancrage de la TNT, à la spécialisation distinctive des acteurs ».
Une attitude et un discours qui avaient suscité des appréhensions chez les acteurs de la presse. « Nous sommes un peu inquiets. Ça fait plusieurs semaines, à chaque conseil des ministres, il parle des médias. Aujourd’hui, il parle d’encadrement et de régulation, alors que tout l’arsenal juridique est disponible’’, se désolait Ibrahima Lissa Faye, président de l’Association des professionnels de la presse en ligne (Appel).
« On se pose des questions. Qu’est-ce qui se cache derrière ces différentes sorties. Va-t-il poser des actes qui vont aller dans le sens de renforcer ou d’affaiblir la presse », ajoutait Assane Diagne à l’époque représentant de Reporter sans frontières à Dakar. Il disait attendre des actes avant de juger. Il ne tardera pas à les avoir.
Convention avec les télés sur internet
En effet, pour donner corps à cette volonté de Macky Sall, Babacar Diagne, le président du Cnra a fait signer des conventions aux éditeurs de chaînes de télévision en mai 2021. Le régulateur se félicitait ainsi d’une « nouvelle page dans le secteur de la communication audiovisuelle ».
« L’équilibre dans le traitement de l’information, la protection des groupes vulnérables notamment le public jeune, la préservation de la cohésion sociale et de la sécurité constituent le socle du Cahier des Charges qui constitue une annexe à la Convention et en a la même valeur juridique », précisait le Cnra dans un communiqué.
La suite, on la connaît. Le groupe D’Média sera le premier à passer à la guillotine (plus d’une fois) avec une suspension de la radio et de la télé pour une durée de 7 jours. Le Cnra reprochait au groupe de Bougane Guèye Dany de n’avoir pas suspendu Ahmed Aïdara, connu pour ses revues de presse en wolof. Walf tv suivra pour la même durée pour couverture ‘’irresponsable’’ des manifestations à Mbacké.
Dans le même communiqué du Cnra du 26 mai 2021, le régulateur ajoutait qu’il allait « aborder incessamment la phase de signature des Conventions des éditeurs de télévision sur internet ». Mais avec ce qui s’est passé, pas sûr que Lissa Faye et ses camarades vont s’empresser d’apposer leur signature.