« Est-ce que je ressemble à quelqu’un qui a peur de quelque chose ? », lâchait le richissime homme d’affaires camerounais Jean-Pierre Amougou Belinga, très introduit au sommet du pouvoir, le 3 mai 2019 sur le plateau de sa chaîne de télévision Vision 4.
Se jugeant jusqu’à présent intouchable – et réputé tel aux yeux des Camerounais -, cet homme de 57 ans, qui tutoie des ministres parmi les plus proches du président Paul Biya, est aujourd’hui placé en détention provisoire et inculpé pour « complicité de torture » dans l’enquête sur le meurtre récent du journaliste Martinez Zogo, dont il était l’une des principales cibles quand ce dernier dénonçait affairisme et corruption au sommet de l’Etat.
Depuis que son journal, l’Anecdote, a été au coeur d’un scandale retentissant en 2006 avec la publication d’un « Top 50 des homosexuels présumés du Cameroun », listant de hautes personnalités de l’Etat et des affaires, Amougou Belinga défraie régulièrement la chronique politico-judiciaire.
Il s’en était déjà tiré sans dommage malgré de nombreuses plaintes, dont celle d’un ministre. La justice inaugurait alors une grande bonté à son égard, qui ne se démentira jamais jusqu’à aujourd’hui.
Propriétaire de puissants groupes dans la banque, la finance, l’assurance, l’immobilier, le BTP et les médias, il est également abonné aux mises en causes pour corruption, devant les tribunaux ou dans les médias. Il y répond par des procès en diffamation mais aussi, selon ses détracteurs, par la menace et l’invocation des puissants qui le protégeraient.
humiliations et menaces
Ainsi, il se sortira d’une vingtaine de procès, gagnés ou qui traînent en longueur. Contre des cadres de ses entreprises, qu’il humilie publiquement dans les journaux télévisés de ses chaînes, des universitaires accusés dans ses médias d' »immoralité » sexuelle, un chef de la police, des ministres… Et même le Conseil national de la Communication, qu’il assigne en 2017 et 2018 quand cet organe régulateur des médias met en cause l’éthique de sa télé.
« A tous les coups, c’est Amougou Belinga qui l’emporte », assure à l’AFP Christophe Bobiokono, patron de l’hebdomadaire Kalara consacré à la vie judiciaire. Les détracteurs du sulfureux homme d’affaires assurent qu’il a « des dossiers » sur tout le monde.
En 2022, accusé d’avoir soustrait massivement ses groupes à l’impôt, et après avoir pourtant obtenu une faramineuse ristourne de son tout-puissant ami ministre des Finances Louis-Paul Motaze, il assigne en justice pour « tentative d’extorsion » la cheffe des inspecteurs des impôts qui sera même brièvement détenue.
Jean-Pierre Amougou Belinga s’est bâti un empire financier d’abord grâce à des contrats avec l’Etat. Au mépris des règles des marchés publics et pour des sommes souvent très généreuses selon l’opposition et de nombreux médias indépendants, dans un pays affligé par une corruption endémique.
Lui assure qu’il ne doit sa fortune qu’à son génie des affaires et son caractère de battant, une « success story » étayée par un narratif amplement relayé par ses médias: une vie de débrouillardise pour cet enfant « issu de la misère », fils de « prolétaires », qui a fait des petits boulots comme aide-restaurateur, porteur, ouvrier du bâtiment…
Et qui côtoie de près le gotha africain. Il va régulièrement en jet privé au Togo, en Guinée équatoriale et en Centrafrique, où il est reçu par les chefs de l’Etat.
Devenu l’ami du président Faustin Archange Touadéra en Centrafrique, il y jouit même d’un passeport diplomatique et ses groupes profitent de juteux marchés publics, confirment à l’AFP plusieurs sources proches du pouvoir à Bangui.
L’assassinat de Martinez Zogo est largement interprété par l’opposition et les analystes comme un avatar sanglant de la guerre de succession que se livrent en sourdine deux clans rivaux de très proches de Paul Biya, qui dirige d’une main de fer le Cameroun depuis plus de 40 ans et vient de fêter ses 90 ans.
Amougou Belinga est un proche du ministre des Finances Louis-Paul Motaze, neveu protégé du président et l’un des prétendants les plus sérieux à la succession.
Le ministre des Finances compte dans son camp sur un autre ministre de poids, ami de l’homme d’affaires: Laurent Esso. Or, le deuxième prétendant le plus en vue, le secrétaire général de la Présidence Ferdinand Ngoh Ngoh, est l’ennemi intime de MM. Motaze, Esso et Amougou Belinga, lequel l’accuse d’être à l’origine des enquêtes visant ses affaires douteuses et ses fraudes fiscales présumées.
AFP