Du Malawi, le grand public entend rarement parler. Ces dernières années, ce pays quatre fois plus petit que la France, coincé entre le Mozambique, la Tanzanie et la Zambie, a fait les gros titres suite au passage ravageur du cyclone Freddy – 1 200 personnes mortes ou portées disparues –, à la légalisation de la culture du cannabis à des fins thérapeutiques et industrielles. Ou à l’adoption très médiatisée d’enfants par la superstar de la musique Madonna…
Très récemment, c’est le crash mortel d’un avion transportant notamment le vice-président malawite qui a fait la Une des journaux.
Pourtant, la République du Malawi a connu des évolutions majeures, dernièrement. En février 2020, la Cour constitutionnelle a par exemple annulé pour des « irrégularités et anomalies » la présidentielle 2019 qui donnait la victoire à Peter Mutharika, chef de l’État de 2014 à 2020. S’en est suivie l’élection de Lazarus Chakwera, l’actuel président, et une nouvelle alternance démocratique.
Le Malawi, qui a d’abord vécu trois décennies sous le régime autoritaire de Hastings Banda (président de 1966-1994), verrait-il la démocratie se lever, à l’instar du soleil rougeoyant qui orne son drapeau ?
Boniface Dulani, associé principal et directeur de recherche de l’Institut d’opinion publique et de recherche (Ipor), en est certain. « Le Malawi reste une démocratie très dynamique, qui bénéficie d’un large soutien au sein de l’opinion, affirme-t-il. Selon la dernière enquête Afrobaromètre de 2022, 58 % des Malawites ont déclaré que la démocratie est préférable à toute autre forme de gouvernement et une majorité d’entre eux encore plus large a rejeté les modes de gouvernements autoritaires tels que les régimes militaires, à partis uniques ou les dictatures ».
Le politologue insiste : « Malgré des frustrations politiques constantes, les Malawites sont restés largement pacifiques. Une société civile dynamique, dirigée par des chefs religieux et des organisations non-gouvernementales, joue le rôle de gardien de la démocratie, tandis que le pouvoir judiciaire a prouvé à maintes reprises qu’il restait un bastion de l’indépendance et un gardien de l’ordre démocratique. »
Très récemment, c’est le crash mortel d’un avion transportant notamment le vice-président malawite qui a fait la Une des journaux.
Pourtant, la République du Malawi a connu des évolutions majeures, dernièrement. En février 2020, la Cour constitutionnelle a par exemple annulé pour des « irrégularités et anomalies » la présidentielle 2019 qui donnait la victoire à Peter Mutharika, chef de l’État de 2014 à 2020. S’en est suivie l’élection de Lazarus Chakwera, l’actuel président, et une nouvelle alternance démocratique.
Le Malawi, qui a d’abord vécu trois décennies sous le régime autoritaire de Hastings Banda (président de 1966-1994), verrait-il la démocratie se lever, à l’instar du soleil rougeoyant qui orne son drapeau ?
Boniface Dulani, associé principal et directeur de recherche de l’Institut d’opinion publique et de recherche (Ipor), en est certain. « Le Malawi reste une démocratie très dynamique, qui bénéficie d’un large soutien au sein de l’opinion, affirme-t-il. Selon la dernière enquête Afrobaromètre de 2022, 58 % des Malawites ont déclaré que la démocratie est préférable à toute autre forme de gouvernement et une majorité d’entre eux encore plus large a rejeté les modes de gouvernements autoritaires tels que les régimes militaires, à partis uniques ou les dictatures ».
Le politologue insiste : « Malgré des frustrations politiques constantes, les Malawites sont restés largement pacifiques. Une société civile dynamique, dirigée par des chefs religieux et des organisations non-gouvernementales, joue le rôle de gardien de la démocratie, tandis que le pouvoir judiciaire a prouvé à maintes reprises qu’il restait un bastion de l’indépendance et un gardien de l’ordre démocratique. »
« Pacifique, pauvre et patriarcal »
Le docteur John Lwanda, figure intellectuelle malawite, considère, lui, son pays comme étant avant tout « pacifique, pauvre et patriarcal ». Du haut de ses 75 ans, celui qui est médecin, écrivain, poète, éditeur et producteur de musique, jette un regard aiguisé sur sa patrie. « Au cours des 60 dernières années, beaucoup de choses ont changé, estime cet auteur de nombreux ouvrages. Les 30 premières années ont été caractérisées par une autocratie répressive absolue. Cela a créé une sorte d’unité et de discipline imposées qui, s’ajoutant au conservatisme traditionnel du pays, ont contribué à ce que les Malawites deviennent les « esclaves » de leurs politiciens plutôt que les politiciens soient leurs « représentants et serviteurs » ».
Le docteur John Lwanda poursuit : « Les 30 dernières années, depuis le début d’un régime multipartite en 1994, ont, elles, apporté la liberté d’expression. Les droits de l’homme sont, dans l’ensemble, respectés. Le Malawi est relativement paisible et la liberté d’expression prévaut toujours. En revanche, il y a eu une croissance massive de la corruption […]. La société civile et ses dirigeants n’ont par ailleurs pas réussi à équilibrer les droits et les responsabilités dans une démocratie. La pauvreté continue de s’aggraver et les Malawites sont plus dépendants de l’aide extérieure qu’auparavant. Les politiciens n’ont pas réussi à planifier et ont dilapidé l’aide et les opportunités qui se présentaient. L’écart entre les riches et les pauvres s’est creusé et, dernièrement, la criminalité s’est accentuée. »
Hastings Banda, premier président du Malawi indépendant (1966-1994), à Londres, le 6 décembre 1964. Devenu protectorat britannique en 1891 sous le nom de Nyassaland, le Malawi accéda à l’indépendance le 6 juillet 1964, tout en demeurant dans le Commonwealth avec comme Premier ministre, cette figure de proue du mouvement d’émancipation malawite. Leader charismatique et patriarcal, ce dernier se fit nommer deux ans plus tard président du Malawi, devenu entre-temps une république. En 1971, la Constitution est de nouveau amendée afin de donner un mandat à vie au président qui jouit désormais de pouvoirs absolus. Il dirigea le pays en s’appuyant sur les instances de son parti, le Parti du Congrès du Malawi (MCP), le seul autorisé.
Bakili Muluzi, deuxième président du Malawi (1994-2004), votant le 17 mai 1994 dans son village natal, lors des élections générales ayant mis fin au régime autocratique d’Hastings Banda. Ce dernier, confronté aux émeutes sanglantes de mai 1992, conjuguées aux pressions des bailleurs de fonds internationaux, a été contraint d’inscrire la pluralité politique et la liberté d’expression dans une nouvelle Constitution. Le nonagénaire, qui présidait d’une main de fer aux destinées de son pays, avait dû se présenter aux élections multipartites du 17 mars 1994. Et il avait donc été battu par le candidat de l’opposition, Bakili Muluzi.
Le troisième président du Malawi (2004-2012), Bingu Wa Mutharika, s’adressant à la 62e Assemblée générale des Nations Unies, le 25 septembre 2007. Il est mort en fonction, d’un arrêt cardiaque, le 5 avril 2012. Ses neuf années de pouvoir ont été marquées notamment par des premiers succès sur le plan agricole, puis par un retournement de la situation économique, de graves pénuries, et une dérive autoritaire.
Joyce Banda signant un registre lors de son investiture en tant que nouvelle présidente du Malawi, devenant ainsi la première femme dirigeante du pays lors d’une cérémonie à Lilongwe le 7 avril 2012, deux jours après le décès de son prédécesseur Bingu wa Mutharika. Cet intérim de l’ancienne vice-présidente a été marqué par le scandale du « cashgate » : près de 30 millions de dollars avaient disparu des caisses de l’État. À la suite de ce scandale, de nombreux bailleurs de fonds avaient suspendu leur aide au Malawi.
Le cinquième président du Malawi (2014-2020), Peter Mutharika, frère de l’ancien chef d’État Bingu wa Mutharika, le 21 juin 2019 à Lilongwe. Son bilan à la tête du pays apparaît contrasté. S’il a favorisé le développement des infrastructures, sa présidence aura aussi été marquée par des pénuries de nourriture, des coupures d’électricité et surtout des scandales de corruption, qui avait fait de la lutte contre ce fléau une de ses priorités.
Le sixième et actuel président du Malawi, Lazarus Chakwera, prononçant un discours à Lilongwe, le 17 août 2021. Il avait été élu en 2020 face au sortant, Peter Mutharika, dont la réélection, en 2019, avait été annulée pour cause de fraudes massives.
Hastings Banda, premier président du Malawi indépendant (1966-1994), à Londres, le 6 décembre 1964. Devenu protectorat britannique en 1891 sous le nom de Nyassaland, le Malawi accéda à l’indépendance le 6 juillet 1964, tout en demeurant dans le Commonwealth avec comme Premier ministre, cette figure de proue du mouvement d’émancipation malawite. Leader charismatique et patriarcal, ce dernier se fit nommer deux ans plus tard président du Malawi, devenu entre-temps une république. En 1971, la Constitution est de nouveau amendée afin de donner un mandat à vie au président qui jouit désormais de pouvoirs absolus. Il dirigea le pays en s’appuyant sur les instances de son parti, le Parti du Congrès du Malawi (MCP), le seul autorisé. © © Getty Images – George Stroud
« Les Malawites sont connues pour leur force et leur résilience »
Dans ce contexte, la condition féminine reste particulièrement précaire, alors que le pays a pourtant été dirigé par une présidente, Joyce Banda, de 2012 à 2014. « Il existe encore des dynamiques de pouvoir inégales, les femmes étant du côté défavorisé de la barrière, résume Christie Banda, jeune féministe et activiste. Le multipartisme, instauré en 1994, a apporté quelques changements positifs ». L’intéressée cite notamment « la Constitution qui consacre désormais l’égalité des sexes, et des lois qui ont été promulguées pour lutter contre la violence à l’égard des femmes, pour promouvoir l’égalité des chances et pour encourager la représentation des femmes dans les rôles de direction ». Christie Banda pointe ainsi « une augmentation notable du nombre de femmes occupant des sièges parlementaires et des postes de direction » même si « d’importants obstacles demeurent lorsqu’elles tentent d’accéder à des rôles politiques et de leadership ». « Les Malawites sont connues pour leur force et leur résilience et contribuent de manière significative à la société par le biais de la production agricole, des petites entreprises et du leadership communautaire », conclut celle qui dirige la Fondation pour l’éducation civique et l’autonomisation sociale (Focese).
Elle énumère toutefois un certain nombre de freins à leur émancipation : « Un écart important entre les sexes dans le travail domestique », « en matière de génération de revenus », et dans le « contrôle des actifs et des ressources des ménages », notamment en zone rurale. Elle rappelle aussi que « la multitude de catastrophes actuelles ont touché de manière disproportionnée les femmes et les filles », que ces « catastrophes exposent les femmes à la violence sexuelle et à d’autres formes de violence ».
Un constat que partage Amnesty international, évoquant notamment dans sa dernière radiographie du Malawi « des femmes faisant face à un risque accru de violences liées au genre, dans les camps de personnes déplacées ».
« La liberté des médias est plus formelle qu’une réalité »
L’ONG dresse au passage un tableau globalement sombre de l’État du Malawi, en 2023 : « Des centaines de personnes réfugiées ou demandeuses d’asile ont été arrêtées et contraintes de s’installer dans des camps en abandonnant leurs moyens de subsistance. Les attaques violentes contre les personnes atteintes d’albinisme se sont multipliées. Les personnes LGBTI étaient en butte à la discrimination. Les droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique y ont fait l’objet de restrictions. »
Sur ce dernier point, Jimmy Kainja, chercheur à l’Université du Malawi et spécialiste des médias et de la communication, tire un bilan disparate. « Les Malawites discutent généralement ouvertement des questions d’intérêt national sur les réseaux sociaux, assure-t-il. Cependant, plusieurs cas d’arrestation montrent qu’une loi de 2016 sur les transactions électroniques et la cybersécurité contient également des dispositions vagues et larges qui sont utilisées pour arrêter les personnes critiques à l’égard des élites puissantes. Ces dispositions comprennent un article qui interdit le cyberharcèlement et un autre qui interdit les communications offensantes. Les arrestations incluent ceux qui publient sur des réseaux fermés tels que les groupes WhatsApp ».
Concernant la liberté de la presse, le Malawi est à la 63e place sur 180 du baromètre de Reporters sans frontières. Un résultat en phase avec la synthèse de Jimmy Kainja. « On se rend compte que ces 30 années ont été mitigées, soupèse-t-il. D’une part, le pays a fait des progrès significatifs dans la sauvegarde des libertés des médias grâce à un cadre juridique complet qui soutient et défend la liberté des médias. […] D’un autre côté, les faits montrent que la liberté des médias garantie par ces dispositions est plus formelle qu’une réalité ». Et l’universitaire de citer par exemple « un harcèlement constant des journalistes par des acteurs étatiques et non étatiques ».
Si le Malawi semble avoir donc fait des progrès sur le terrain politique, on ne peut pas en dire autant de son développement. Cet État enclavé, à la population particulièrement jeune (l’âge médian est de près de 17 ans), pauvre (1 867 dollars de PIB par habitant) et rurale (à 81%), peine en effet à quitter la catégorie des pays les moins avancés. En témoigne sa 172e place sur 193 dans le dernier Rapport sur le développement humain, enquête établie chaque année sous l’égide du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud). Soit le 27e rang (sur 46) en Afrique subsaharienne.
Parmi les causes régulièrement évoquées pour expliquer l’incapacité du Malawi à franchir de nouveaux paliers, la Banque mondiale avance une « économie fortement dépendante de l’agriculture, qui emploie plus de 80 % de la population ». Le tabac, le coton, le sucre, le thé et le maïs, sont en effet ses principales ressources. Or, l’institution financière met en lumière « les vulnérabilités de cette économie » très dépendante de la météo. Vulnérabilités « exacerbées par les chocs météorologiques et climatiques ». Elle cite « des inondations récurrentes et des périodes de sécheresse prolongées […], aggravées par la disponibilité limitée d’intrants agricoles et une faible intégration des marchés nationaux et régionaux ». Résultat, le pays a « une production agricole en-dessous de son potentiel ».
Plus largement, la Banque mondiale juge que « les défis économiques du Malawi sont multiples », que « la prévalence de la pauvreté y reste élevée », avec un taux dépassant les 70%, « l’un des plus élevés au monde ». Une « situation aggravée par une reprise économique lente et des pénuries alimentaires persistantes ». L’organisme basé à Washington souligne que « l’économie du Malawi est également confrontée à un manque de dynamisme commercial et à de faibles niveaux d’investissements ». Parmi les handicaps structurels, elle répertorie entre autres « l’accès à l’énergie qui reste faible, avec seulement 23 % de la population du Malawi ayant accès à l’électricité ».
Autre écueil : la corruption. Le Malawi n’a pas bonne réputation en la matière : avec une note de 34/100, il est 115e sur 180 au classement établi annuellement par Transparency. Un résultat que Jeff Kabondo, Responsable de programmes pour cette, explique aisément. « Le gouvernement n’a pas mis en œuvre de réformes radicales dans la gestion des finances publiques, laissant des domaines tels que les marchés publics toujours exposés à une fraude et à une corruption graves et organisées, insiste-t-il. Depuis plus de 10 ans, on a de plus en plus l’impression que certaines des grandes affaires de corruption impliquant des personnes occupant des postes de direction (y compris d’anciens dirigeants) n’ont pas été traitées de manière satisfaisante. Certaines affaires ont été classées et d’autres restent dans le système judiciaire en attente d’achèvement ou de conclusion ».
« Un jour nous vaincrons la faim, le manque, la stagnation »
Le tourisme pourrait être une alternative économique à cette hyper-dépendance à l’agriculture, pour ce pays qui regorge également de paysage somptueux et réputé plutôt stable : le Malawi est classé 80e sur 163 au Global Peace Index, un baromètre mesurant les pays selon leur degré de pacifisme. Avant le Covid-19, le Malawi frôlait d’ailleurs le million de visiteurs par an. Mais la pandémie a mis un coup d’arrêt à ce secteur dynamique. « Le Malawi accueille un tourisme axé sur la nature et le patrimoine culturel, rappelle l’Agence pour le commerce international (ITA), organisme américain. Ses principales attractions sont le lac Malawi – le troisième plus grand lac d’eau douce d’Afrique –, la faune dans de nombreux parcs nationaux, réserves fauniques et réserves forestières, les montagnes et paysages, et des attractions culturelles et historiques ».
Chikondi Chabvuta, défenseure de la justice climatique et des droits des femmes du Malawi, reste ainsi positive, malgré cet enlisement. « Le Malawi n’est pas encore développé contrairement aux pays voisins, concède celle qui est responsable plaidoyer en Afrique australe pour l’ONG CARE. Mais nous apprécions le calme et il y a encore beaucoup à faire au Malawi pour nourrir sa population et offrir des opportunités à chacun ».
Elle conclut, pleine de foi en l’avenir : « Le Malawi est un endroit formidable où venir. Sa population est chaleureuse et accueillante, sa beauté inégalée, sa population est résiliente malgré tous les impacts climatiques et économiques auxquels elle est confrontée. Je suis fier d’être malawite et j’ai l’espoir qu’un jour nous transformerons l’histoire du pays le plus pauvre en celui du meilleur endroit où vivre sur terre, cela arrivera ! J’aime mon pays et je sais que ce n’est qu’une saison, un jour nous vaincrons la faim, le manque, la stagnation. Un jour tout cela disparaîtra, je le sais ! L’histoire sera différente ! »
Le docteur John Lwanda, figure intellectuelle malawite, considère, lui, son pays comme étant avant tout « pacifique, pauvre et patriarcal ». Du haut de ses 75 ans, celui qui est médecin, écrivain, poète, éditeur et producteur de musique, jette un regard aiguisé sur sa patrie. « Au cours des 60 dernières années, beaucoup de choses ont changé, estime cet auteur de nombreux ouvrages. Les 30 premières années ont été caractérisées par une autocratie répressive absolue. Cela a créé une sorte d’unité et de discipline imposées qui, s’ajoutant au conservatisme traditionnel du pays, ont contribué à ce que les Malawites deviennent les « esclaves » de leurs politiciens plutôt que les politiciens soient leurs « représentants et serviteurs » ».
Le docteur John Lwanda poursuit : « Les 30 dernières années, depuis le début d’un régime multipartite en 1994, ont, elles, apporté la liberté d’expression. Les droits de l’homme sont, dans l’ensemble, respectés. Le Malawi est relativement paisible et la liberté d’expression prévaut toujours. En revanche, il y a eu une croissance massive de la corruption […]. La société civile et ses dirigeants n’ont par ailleurs pas réussi à équilibrer les droits et les responsabilités dans une démocratie. La pauvreté continue de s’aggraver et les Malawites sont plus dépendants de l’aide extérieure qu’auparavant. Les politiciens n’ont pas réussi à planifier et ont dilapidé l’aide et les opportunités qui se présentaient. L’écart entre les riches et les pauvres s’est creusé et, dernièrement, la criminalité s’est accentuée. »
Hastings Banda, premier président du Malawi indépendant (1966-1994), à Londres, le 6 décembre 1964. Devenu protectorat britannique en 1891 sous le nom de Nyassaland, le Malawi accéda à l’indépendance le 6 juillet 1964, tout en demeurant dans le Commonwealth avec comme Premier ministre, cette figure de proue du mouvement d’émancipation malawite. Leader charismatique et patriarcal, ce dernier se fit nommer deux ans plus tard président du Malawi, devenu entre-temps une république. En 1971, la Constitution est de nouveau amendée afin de donner un mandat à vie au président qui jouit désormais de pouvoirs absolus. Il dirigea le pays en s’appuyant sur les instances de son parti, le Parti du Congrès du Malawi (MCP), le seul autorisé.
Bakili Muluzi, deuxième président du Malawi (1994-2004), votant le 17 mai 1994 dans son village natal, lors des élections générales ayant mis fin au régime autocratique d’Hastings Banda. Ce dernier, confronté aux émeutes sanglantes de mai 1992, conjuguées aux pressions des bailleurs de fonds internationaux, a été contraint d’inscrire la pluralité politique et la liberté d’expression dans une nouvelle Constitution. Le nonagénaire, qui présidait d’une main de fer aux destinées de son pays, avait dû se présenter aux élections multipartites du 17 mars 1994. Et il avait donc été battu par le candidat de l’opposition, Bakili Muluzi.
Le troisième président du Malawi (2004-2012), Bingu Wa Mutharika, s’adressant à la 62e Assemblée générale des Nations Unies, le 25 septembre 2007. Il est mort en fonction, d’un arrêt cardiaque, le 5 avril 2012. Ses neuf années de pouvoir ont été marquées notamment par des premiers succès sur le plan agricole, puis par un retournement de la situation économique, de graves pénuries, et une dérive autoritaire.
Joyce Banda signant un registre lors de son investiture en tant que nouvelle présidente du Malawi, devenant ainsi la première femme dirigeante du pays lors d’une cérémonie à Lilongwe le 7 avril 2012, deux jours après le décès de son prédécesseur Bingu wa Mutharika. Cet intérim de l’ancienne vice-présidente a été marqué par le scandale du « cashgate » : près de 30 millions de dollars avaient disparu des caisses de l’État. À la suite de ce scandale, de nombreux bailleurs de fonds avaient suspendu leur aide au Malawi.
Le cinquième président du Malawi (2014-2020), Peter Mutharika, frère de l’ancien chef d’État Bingu wa Mutharika, le 21 juin 2019 à Lilongwe. Son bilan à la tête du pays apparaît contrasté. S’il a favorisé le développement des infrastructures, sa présidence aura aussi été marquée par des pénuries de nourriture, des coupures d’électricité et surtout des scandales de corruption, qui avait fait de la lutte contre ce fléau une de ses priorités.
Le sixième et actuel président du Malawi, Lazarus Chakwera, prononçant un discours à Lilongwe, le 17 août 2021. Il avait été élu en 2020 face au sortant, Peter Mutharika, dont la réélection, en 2019, avait été annulée pour cause de fraudes massives.
Hastings Banda, premier président du Malawi indépendant (1966-1994), à Londres, le 6 décembre 1964. Devenu protectorat britannique en 1891 sous le nom de Nyassaland, le Malawi accéda à l’indépendance le 6 juillet 1964, tout en demeurant dans le Commonwealth avec comme Premier ministre, cette figure de proue du mouvement d’émancipation malawite. Leader charismatique et patriarcal, ce dernier se fit nommer deux ans plus tard président du Malawi, devenu entre-temps une république. En 1971, la Constitution est de nouveau amendée afin de donner un mandat à vie au président qui jouit désormais de pouvoirs absolus. Il dirigea le pays en s’appuyant sur les instances de son parti, le Parti du Congrès du Malawi (MCP), le seul autorisé. © © Getty Images – George Stroud
« Les Malawites sont connues pour leur force et leur résilience »
Dans ce contexte, la condition féminine reste particulièrement précaire, alors que le pays a pourtant été dirigé par une présidente, Joyce Banda, de 2012 à 2014. « Il existe encore des dynamiques de pouvoir inégales, les femmes étant du côté défavorisé de la barrière, résume Christie Banda, jeune féministe et activiste. Le multipartisme, instauré en 1994, a apporté quelques changements positifs ». L’intéressée cite notamment « la Constitution qui consacre désormais l’égalité des sexes, et des lois qui ont été promulguées pour lutter contre la violence à l’égard des femmes, pour promouvoir l’égalité des chances et pour encourager la représentation des femmes dans les rôles de direction ». Christie Banda pointe ainsi « une augmentation notable du nombre de femmes occupant des sièges parlementaires et des postes de direction » même si « d’importants obstacles demeurent lorsqu’elles tentent d’accéder à des rôles politiques et de leadership ». « Les Malawites sont connues pour leur force et leur résilience et contribuent de manière significative à la société par le biais de la production agricole, des petites entreprises et du leadership communautaire », conclut celle qui dirige la Fondation pour l’éducation civique et l’autonomisation sociale (Focese).
Elle énumère toutefois un certain nombre de freins à leur émancipation : « Un écart important entre les sexes dans le travail domestique », « en matière de génération de revenus », et dans le « contrôle des actifs et des ressources des ménages », notamment en zone rurale. Elle rappelle aussi que « la multitude de catastrophes actuelles ont touché de manière disproportionnée les femmes et les filles », que ces « catastrophes exposent les femmes à la violence sexuelle et à d’autres formes de violence ».
Un constat que partage Amnesty international, évoquant notamment dans sa dernière radiographie du Malawi « des femmes faisant face à un risque accru de violences liées au genre, dans les camps de personnes déplacées ».
« La liberté des médias est plus formelle qu’une réalité »
L’ONG dresse au passage un tableau globalement sombre de l’État du Malawi, en 2023 : « Des centaines de personnes réfugiées ou demandeuses d’asile ont été arrêtées et contraintes de s’installer dans des camps en abandonnant leurs moyens de subsistance. Les attaques violentes contre les personnes atteintes d’albinisme se sont multipliées. Les personnes LGBTI étaient en butte à la discrimination. Les droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique y ont fait l’objet de restrictions. »
Sur ce dernier point, Jimmy Kainja, chercheur à l’Université du Malawi et spécialiste des médias et de la communication, tire un bilan disparate. « Les Malawites discutent généralement ouvertement des questions d’intérêt national sur les réseaux sociaux, assure-t-il. Cependant, plusieurs cas d’arrestation montrent qu’une loi de 2016 sur les transactions électroniques et la cybersécurité contient également des dispositions vagues et larges qui sont utilisées pour arrêter les personnes critiques à l’égard des élites puissantes. Ces dispositions comprennent un article qui interdit le cyberharcèlement et un autre qui interdit les communications offensantes. Les arrestations incluent ceux qui publient sur des réseaux fermés tels que les groupes WhatsApp ».
Concernant la liberté de la presse, le Malawi est à la 63e place sur 180 du baromètre de Reporters sans frontières. Un résultat en phase avec la synthèse de Jimmy Kainja. « On se rend compte que ces 30 années ont été mitigées, soupèse-t-il. D’une part, le pays a fait des progrès significatifs dans la sauvegarde des libertés des médias grâce à un cadre juridique complet qui soutient et défend la liberté des médias. […] D’un autre côté, les faits montrent que la liberté des médias garantie par ces dispositions est plus formelle qu’une réalité ». Et l’universitaire de citer par exemple « un harcèlement constant des journalistes par des acteurs étatiques et non étatiques ».
Si le Malawi semble avoir donc fait des progrès sur le terrain politique, on ne peut pas en dire autant de son développement. Cet État enclavé, à la population particulièrement jeune (l’âge médian est de près de 17 ans), pauvre (1 867 dollars de PIB par habitant) et rurale (à 81%), peine en effet à quitter la catégorie des pays les moins avancés. En témoigne sa 172e place sur 193 dans le dernier Rapport sur le développement humain, enquête établie chaque année sous l’égide du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud). Soit le 27e rang (sur 46) en Afrique subsaharienne.
Parmi les causes régulièrement évoquées pour expliquer l’incapacité du Malawi à franchir de nouveaux paliers, la Banque mondiale avance une « économie fortement dépendante de l’agriculture, qui emploie plus de 80 % de la population ». Le tabac, le coton, le sucre, le thé et le maïs, sont en effet ses principales ressources. Or, l’institution financière met en lumière « les vulnérabilités de cette économie » très dépendante de la météo. Vulnérabilités « exacerbées par les chocs météorologiques et climatiques ». Elle cite « des inondations récurrentes et des périodes de sécheresse prolongées […], aggravées par la disponibilité limitée d’intrants agricoles et une faible intégration des marchés nationaux et régionaux ». Résultat, le pays a « une production agricole en-dessous de son potentiel ».
Plus largement, la Banque mondiale juge que « les défis économiques du Malawi sont multiples », que « la prévalence de la pauvreté y reste élevée », avec un taux dépassant les 70%, « l’un des plus élevés au monde ». Une « situation aggravée par une reprise économique lente et des pénuries alimentaires persistantes ». L’organisme basé à Washington souligne que « l’économie du Malawi est également confrontée à un manque de dynamisme commercial et à de faibles niveaux d’investissements ». Parmi les handicaps structurels, elle répertorie entre autres « l’accès à l’énergie qui reste faible, avec seulement 23 % de la population du Malawi ayant accès à l’électricité ».
Autre écueil : la corruption. Le Malawi n’a pas bonne réputation en la matière : avec une note de 34/100, il est 115e sur 180 au classement établi annuellement par Transparency. Un résultat que Jeff Kabondo, Responsable de programmes pour cette, explique aisément. « Le gouvernement n’a pas mis en œuvre de réformes radicales dans la gestion des finances publiques, laissant des domaines tels que les marchés publics toujours exposés à une fraude et à une corruption graves et organisées, insiste-t-il. Depuis plus de 10 ans, on a de plus en plus l’impression que certaines des grandes affaires de corruption impliquant des personnes occupant des postes de direction (y compris d’anciens dirigeants) n’ont pas été traitées de manière satisfaisante. Certaines affaires ont été classées et d’autres restent dans le système judiciaire en attente d’achèvement ou de conclusion ».
« Un jour nous vaincrons la faim, le manque, la stagnation »
Le tourisme pourrait être une alternative économique à cette hyper-dépendance à l’agriculture, pour ce pays qui regorge également de paysage somptueux et réputé plutôt stable : le Malawi est classé 80e sur 163 au Global Peace Index, un baromètre mesurant les pays selon leur degré de pacifisme. Avant le Covid-19, le Malawi frôlait d’ailleurs le million de visiteurs par an. Mais la pandémie a mis un coup d’arrêt à ce secteur dynamique. « Le Malawi accueille un tourisme axé sur la nature et le patrimoine culturel, rappelle l’Agence pour le commerce international (ITA), organisme américain. Ses principales attractions sont le lac Malawi – le troisième plus grand lac d’eau douce d’Afrique –, la faune dans de nombreux parcs nationaux, réserves fauniques et réserves forestières, les montagnes et paysages, et des attractions culturelles et historiques ».
Chikondi Chabvuta, défenseure de la justice climatique et des droits des femmes du Malawi, reste ainsi positive, malgré cet enlisement. « Le Malawi n’est pas encore développé contrairement aux pays voisins, concède celle qui est responsable plaidoyer en Afrique australe pour l’ONG CARE. Mais nous apprécions le calme et il y a encore beaucoup à faire au Malawi pour nourrir sa population et offrir des opportunités à chacun ».
Elle conclut, pleine de foi en l’avenir : « Le Malawi est un endroit formidable où venir. Sa population est chaleureuse et accueillante, sa beauté inégalée, sa population est résiliente malgré tous les impacts climatiques et économiques auxquels elle est confrontée. Je suis fier d’être malawite et j’ai l’espoir qu’un jour nous transformerons l’histoire du pays le plus pauvre en celui du meilleur endroit où vivre sur terre, cela arrivera ! J’aime mon pays et je sais que ce n’est qu’une saison, un jour nous vaincrons la faim, le manque, la stagnation. Un jour tout cela disparaîtra, je le sais ! L’histoire sera différente ! »