CULTURE-En Afrique de l’Ouest, tout événement marquant s’accompagne généralement d’un chant du griot, c’est-à-dire du barde traditionnel. C’est le cas non seulement des occasions joyeuses et festives comme les mariages ou les baptêmes, mais aussi des occasions tragiques. « Le griot a le devoir naturel de se manifester en cas de décès, de tristesse ou de conflit », explique Seckou Keita, griot sénégalais et virtuose de la kora. « C’est pourquoi, face à la pandémie qui nous touche, je me suis senti la responsabilité d’agir, d’apporter mon aide. »
Mais comment répondre à l’appel de la vocation tout en reconnaissant le caractère universel et sans frontières de la pandémie actuelle ? Confiné dans sa ville d’adoption, Nottingham (Angleterre), Seckou Keita ne pouvait se contenter d’écrire une chanson dans sa langue maternelle, le mandinka, qui ne parlerait qu’à ses réseaux sénégalais et africains. « Je ne voulais pas d’une démarche aussi limitée », dit-il, « car la pandémie touche le monde entier. Je viens d’Afrique, et c’est à elle que va d’abord ma loyauté ; mais je vis en Occident, mes enfants sont nés ici, et je voyage partout dans le monde. »
Seckou Keita a donc pris contact avec d’autres artistes – des amis, des chanteurs dont il aimait la voix, des gens qu’il avait rencontrés en voyage. Des SMS et des messages WhatsApp sont partis un peu partout, à l’est, à l’ouest, au nord, au sud, et « chose magnifique », tous les artistes contactés par Seckou Keita ont accepté de contribuer à son projet.
L’actrice et chanteuse malienne Fatoumata Diawara lui a envoyé un vers en bambara ; la griotte Noura Mint Seymali lui a transmis un morceau en hassaniya, dialecte arabe de sa Mauritanie natale ; l’artiste guinéen Manecas Costa a chanté en créole portugais de Guinée Bissau ; la chanteuse indienne Anandi a apporté une contribution en bengali, et Zule Guerra, en espagnol de Cuba ; enfin, l’auteur-compositeur-interprète Kris Drever, originaire des Orcades, et la chanteuse Celestine Walcott-Gordon, née au Royaume-Uni et originaire de Jamaïque et de Barbade, ont apporté des saveurs d’anglais très différentes.
Toutes ces voix se sont unies, avec leurs propres teintes, inflexions et colorations, pour délivrer à leur façon le même message : « Now or Never », c’est maintenant ou jamais. « Cette pandémie est pour moi un signe », explique Seckou Keita. « Elle nous a tous mis à genoux et renvoyés dans nos cavernes. Puis est venu le mouvement « Black Lives Matter » en réponse à une autre forme de pandémie. Nous parlons aujourd’hui beaucoup du Covid-19, mais quid de l’après ? Pourquoi ne pas éveiller les consciences sur ce qui va suivre ? On pourrait assister à un retour au calme, à de la violence ou à des problèmes en lien avec les frontières. Quoi qu’il en soit, il n’y a qu’un seul remède : le rassemblement. Le moment est venu. »
C’est ce message qui a été distillé par le poète et rappeur sénégalais Keyti (de son vrai nom Cheikh Sène), ami de Seckou Keita, dans un refrain qui a servi de modèle à toutes les autres contributions. Hakim, producteur afro-américain habitant en Gambie, a ensuite cousu ensemble ces segments disparates sous la direction de Seckou Keita. Nombre d’idées et commentaires ont ensuite été échangés sur Zoom, dans une frénésie de créativité intercontinentale. Des instruments ont été ajoutés : les guitares sénégalaises de Moustapha Gaye, le koto japonais de Mieke Miyazaki, les tambours de Hakim (lequel a en outre donné de sa voix en anglais), et la kora de Seckou Keita. Confinement mondial, recours aux technologies instantanées et créativité transfrontalière – tels sont les éléments nouveaux de l’art du griot.
Afin de joindre la parole aux actes, les artistes ont décidé que les profits du titre « Now or Never » seraient reversés au Comité international de la Croix-Rouge (CICR), qui lutte contre le Covid-19 dans le monde entier. Le CICR s’efforce de prévenir la propagation de la maladie dans plus de 90 pays, en soutenant des infrastructures sanitaires vitales et en fournissant des produits essentiels aux personnes les plus vulnérables.
« En cette période de crise mondiale, les valeurs de solidarité, de compassion et d’humanité sont plus importantes que jamais. Un grand merci à tous les artistes qui se sont réunis pour produire cette magnifique chanson. Votre engagement contribue à aider les personnes les plus démunies de la planète, celles touchées par les conflits armés et la violence et pour qui la pandémie Covid-19 constitue une autre menace mortelle », dit Robert Mardini, directeur général du CICR.
Quand, dans les années 1980, la guerre faisait rage en Casamance, sa région natale située dans le sud du Sénégal, le CICR est devenu pour Seckou Keita une lueur d’espoir. La vue d’un véhicule ou d’une bannière de la Croix-Rouge était une promesse de sécurité, de normalité et de neutralité au cœur de la violence et de la destruction.
« Now or Never », chanson universelle et sans frontières sur une pandémie mondiale, vient donc aujourd’hui soutenir une organisation humanitaire internationale et nous livrer un avertissement sur le « jamais » qui pourrait nous frapper si nous n’agissons pas dès « maintenant ».
GMS/ LA RÉDACTION