Maroc: la population soulagée après l’annulation par le roi du sacrifice de l’Aïd

Ce n’était arrivé que trois fois dans l’histoire du Maroc indépendant. En 1963, alors que la guerre des sables contre l’Algérie avait provoqué une grave crise économique ; en 1981, à cause d’une sécheresse et d’un plan d’ajustement structurel et en 1996, alors que l’agriculture avait souffert d’un cruel manque de pluie. En 2025, la conjoncture est tout aussi délicate pour le royaume qui vient d’entrer dans sa septième année de sécheresse : Entre septembre 2023 et août 2024, les précipitations ont accusé un déficit moyen de 40,3%, selon le ministère de l’Équipement et de l’Eau. Si l’inflation commence à se résorber – 1% attendu pour 2024 par la banque centrale contre 6,1% en 2023 – les effets de la crise du Covid et des tensions géopolitiques se font encore sentir. Le pouvoir d’achat est aujourd’hui en berne. 
 
Ainsi, dans son message adressé au peuple marocain, le mercredi 26 février, Mohammed VI appelle à célébrer l’Aïd el-Kebir, sans faire de sacrifice, cette année. Au regard des « défis climatiques et économiques », l’accomplir dans « ces conditions difficiles causerait un réel préjudice à de larges pans de notre population, en particulier à ceux qui ont des revenus limités », assure le souverain. Le texte, lu à la télévision publique par le ministre des Habous et des Affaires islamiques, Ahmed Toufiq, n’a pas vraiment surpris. L’idée avait déjà fait son chemin, bien avant l’annonce officielle. Cela fait des semaines que les médias locaux publient des articles sur les rumeurs d’une annulation. Les réactions sont largement positives. Sur le réseau social X, Abdellah Tourabi, journaliste et spécialiste de l’islam politique au Maroc, estime « qu’un grand nombre de personnes ont été soulagées par la décision ». Et ce « malgré leur attachement religieux, social et familial » au sacrifice.
 
Le sens d’une fête particulière
Plus importante fête du calendrier musulman, l’Aïd el-Kebir, célébrée trois mois après le début du ramadan, commémore le sacrifice d’Ibrahim. Prophète majeur de l’islam, il se voit soumis à un test divin : Pour prouver sa fidélité, il doit égorger son propre fils. Il accepte, mais, selon la tradition, Allah remplace au dernier moment son fils Ismaël par un mouton.
 
Au Maroc, c’est une célébration immensément populaire, où chaque famille, même la plus pauvre, sacrifie un mouton. « [Cette annulation] est une très bonne chose, comme ça les gens ne seront pas obligés de prendre un crédit », commente Miriam, un médecin croisé au marché central de Casablanca. Pour elle, les Marocains se sont éloignés de l’essence de cette fête basée sur « le partage », où les plus aisés doivent normalement donner une partie de leur sacrifice à ceux qui ont moins de moyens. Cette année sera l’occasion de revenir aux fondements de l’Aïd el-Kebir, conclut-elle.
 
D’ailleurs, dans son message, le roi rappelle que le sacrifice n’est pas obligatoire. Il demande à la population de célébrer l’Aïd el-Kebir, comme à l’accoutumée, par des prières, en accomplissant l’aumône, la charité, en portant une attention particulière au renforcement des liens familiaux.  
 
De leur côté, les islamistes du Parti de la Justice et du Développement (PJD) ont manifesté leur approbation dans un communiqué publié le jeudi 27 février. Le secrétaire général, Abdel-Ilah Benkiran, dit saluer « la sagesse » du roi Mohammed VI, mais dénonce « la responsabilité du gouvernement » dont la politique est à l’origine de cette situation, explique le leader de l’opposition.    
 
Finalement, les seuls opposants à la mesure sont les représentants du secteur de la production animale. « La filière ne pourra jamais renaître de ses cendres suite à une telle décision. Les faillites d’éleveurs se feront par milliers », prévenait, plus tôt au mois de février, le président de l’Association Nationale Ovine et Caprine (ANOC), Abderrahmane Mejdoubi. Depuis l’annonce royale, il est resté silencieux. 
 
Effondrement du cheptel
Le souverain, en sa qualité de Commandeur des croyants, dispose de l’autorité religieuse suffisante pour demander l’annulation du sacrifice, qui pèse de plus en plus lourd sur le budget des ménages déjà très érodé. L’Aïd el-Kebir 2025 promettait de battre de nouveaux records avec des moutons à plus de 900 euros.
 
Il faut dire que sous l’effet des années successives de sécheresse, le cheptel s’est effondré. Il a chuté de 38% entre 2016 et 2025, selon les chiffres du dernier recensement dévoilés par le ministre de l’Agriculture, Ahmed El Bouari, le 13 février dernier. Face à la diminution des aires de pâturage, les agriculteurs ont dû se rabattre sur les aliments pour bétail dont les prix ont explosé, notamment à cause de la guerre en Ukraine. Les éleveurs ont été contraints de réduire la taille de leurs troupeaux. Les prix de la viande rouge se sont envolés. Sans résoudre le problème, l’annulation du sacrifice devrait contribuer à la reconstitution du cheptel national et engendre déjà sur les marchés une baisse des prix de la viande.
 
En 2024, la fête avait été célébrée dans des conditions difficiles. La subvention à l’importation des ovins, mise en place par le gouvernement, avait eu un impact très limité. Beaucoup de Marocains n’avaient pas pu faire le sacrifice, comme Hind, une cuisinière aux revenus modestes, qui n’a pas acheté de mouton depuis deux ans. En 2025, elle fêtera l’Aïd el-Kebir comme elle en a pris l’habitude désormais : En dégustant quelques morceaux de viande achetés au marché. Beaucoup de Marocains s’apprêtent l’imiter.

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