RFI : Quelles ont été les réactions aux États-Unis à cette crise nigérienne ?
Michael Shurkin : Jusqu’ici, les États-Unis ont bien sûr condamné le coup d’État. Mais je crois que les États-Unis vont prendre leur temps pour décider comment réagir concrètement. Parce que le coup d’État met les États-Unis dans une situation très inconfortable. D’après la loi américaine, les États-Unis ne peuvent pas fournir d’aide sécuritaire aux gouvernements qui sont nés de coups d’État militaires, et ce jusqu’à ce que ces pays reviennent à l’ordre constitutionnel. Donc, formellement, il faut que les États-Unis arrêtent bientôt toute aide sécuritaire. J’imagine que les Américains ne veulent pas faire ça, mais la loi les y oblige. Et donc, c’est vraiment un problème pour les États-Unis.
Il se peut que d’abord, le département d’État [le ministère américain des Affaires étrangères, NDLR] prenne le temps. C’est-à-dire que, au lieu de décider tout de suite qu’il faut laisser tomber l’aide sécuritaire, ils réagissent lentement, pour traîner. D’une autre façon, d’après la loi, c’est possible pour le Congrès américain d’autoriser le gouvernement à fournir l’aide sécuritaire, malgré le coup d’État. Cela ne s’est pas fait mais il se peut que cela se fasse, parce que les Américains ont peur.
Tout d’abord, on ne veut pas laisser tomber le Niger parce que le Niger va s’écrouler plus rapidement qu’il est en train de le faire. Mais aussi parce que, si les Occidentaux quittent le Niger, ça va encourager le Niger à se tourner vers les Russes. Et du point de vue américain, ça aussi, c’est un mauvais résultat et on veut éviter ça.
Cette crise nigérienne est-elle suivie attentivement à Washington ?
Je crois que les États-Unis suivent attentivement ce qu’il se passe parce que les États-Unis ont beaucoup investi au Niger. Il y a une forte empreinte américaine au Niger, avec deux bases aériennes et des soldats qui font de l’entraînement, etc. Et on a des soucis : on ne veut pas que le Niger tombe aux mains des jihadistes ou des Russes. Et donc, on regarde ça de près.
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Les États-Unis ont-ils des relations similaires avec d’autres États du Sahel ou d’Afrique de l’Ouest ? Ou le Niger est-il un partenaire particulier en Afrique pour les Américains ?
Les États-Unis ont un rapport privilégié avec le Niger par rapport aux autres pays de la région. D’abord, Mohamed Bazoum était constitutionnellement élu président, et donc légitime. Et c’est une priorité pour les États-Unis, d’après la politique américaine. Mais aussi parce que le Niger est vu comme un bon partenaire.
Le Niger faisait des choses que, d’après les analystes américains, il faut faire. C’est-à-dire que Bazoum s’intéressait aux questions de gouvernance et de développement économique, et il ne se focalisait pas uniquement sur les questions sécuritaires. Il menait une bonne stratégie. Il était un partenaire avec lequel on pouvait travailler.
C’était un partenaire indépendant. Je ne veux pas dire qu’il faisait tout ce que Washington voulait. Ce n’est pas ça. Mais il était quelqu’un pour lequel on avait du respect et qui était vu comme quelqu’un d’efficace et compétent. C’est pour cela que les États-Unis ont un regard particulier pour le Niger et pour le président Bazoum.
Il faut aussi reconnaître que la situation géographique du Niger rend ce pays très important. Il est au centre du Sahel. Il y a les voisins libyens, maliens, burkinabè, nigérians, etc. Donc, il est très important. C’est une clé de voûte dans la région. Et, ça aussi, c’est une autre raison pour laquelle les Américains s’intéressent énormément au Niger.
Quelles aides les États-Unis apportent-ils au Niger, en temps normal ?
En temps normal, les États-Unis apportent beaucoup d’aide au Niger. Il y a d’abord l’aide humanitaire. Je n’ai pas les chiffres en mains, mais l’aide humanitaire est importante. L’aide pour le développement économique est aussi importante. Et du point de vue sécuritaire, pour les États-Unis, il y a les deux bases aériennes qui sont très utiles pour faire de la reconnaissance et le renseignement. Les Américains fournissent ces renseignements à leurs partenaires nigériens, mais aussi aux Français. Et il y a aussi les formateurs, des soldats américains qui forment les soldats nigériens et qui apportent une formation très importante, très signifiante.
Par le passé, les Américains accompagnaient aussi au combat les forces nigériennes. Mais après une embuscade en 2017 [le 4 octobre 2017, dans le village de Tongo Tongo, dans la région Nord-Tillabéry, NDLR], durant laquelle quelques soldats américains ont été tués, je crois que les Américains ont réduit leurs activités. C’est-à-dire qu’ils n’accompagnent plus les forces nigériennes. Mais ceci dit, ils continuent à fournir une formation militaire pertinente et utile.
Les États-Unis ont deux bases au Niger. À quoi servent-elles et sont-elles vraiment importantes pour les autorités américaines ?
Il y en a une à Niamey. Je crois qu’ils occupent une partie de l’aéroport et je crois qu’ils partagent l’espace avec les Français. Et il y a une base au nord. Les bases sont utiles pour le renseignement. Je crois qu’ils travaillent avec des drones et tout ça.
Je ne peux pas dire que ces bases sont importantes pour les Américains, dans un sens stratégique. Ce n’est pas hyper important. La perte de ces bases, ce ne serait pas grand-chose. Ce sont des capacités qui ne sont pas vraiment critiques pour les Américains. C’est peut-être critique pour les Français parce que les Américains fournissent pas mal de renseignements aux Français.
Un départ des Américains serait plus grave pour les Français que pour les Américains en tant que tels. Ce serait plutôt un gaspillage. La base au nord, à Agadez, a coûté extrêmement cher. Et si on perdait cette base, ce serait un grand gaspillage mais ce ne serait pas grave pour les Américains.