En utilisant une méthode statistique déjà éprouvée dans des contextes de conflits, des chercheurs ont tenté d’établir un compte des morts dans l’enclave assiégée. Ils sont parvenus au chiffre de 64 260 sur les neuf premiers mois de la riposte israélienne, «soit environ un habitant sur 35».
Une étude publiée ce vendredi dans la prestigieuse revue médicale britannique The Lancet estime que le nombre de morts à Gaza, au cours des neuf premiers mois de la guerre entre Israël et le Hamas est de 64 260 morts, soit un chiffre supérieur de 41 % à celui du ministère de la Santé de la bande de Gaza, contrôlé par le Hamas, qui comptait 37 877 morts sur cette même période. Ce chiffre représente 2,9 % de la population de Gaza avant la guerre, «soit environ un habitant sur 35», selon l’étude.
Le nombre de personnes tuées à Gaza fait l’objet d’un âpre débat depuis qu’Israël a lancé sa campagne militaire contre le Hamas en réponse à l’attaque contre son territoire le 7 octobre 2023. Si Israël a mis en doute la crédibilité des chiffres du ministère de la Santé de Gaza, ils ont été jugés fiables par les Nations unies. Le bilan humain est considérable, mais les chiffres sont extrêmement difficiles à vérifier, expliquait en octobre CheckNews, le service de fact-checking de Libération.
Trois listes recoupées
Menée entre autres par des chercheurs de la London School of Hygiene and Tropical Medicine et de l’université de Yale, aux Etats-Unis, l’étude du Lancet s’est penchée sur les morts directes causées par des «lésions traumatiques». Les auteurs ont employé une méthode statistique appelée «capture-recapture», qui a déjà été utilisée pour estimer le nombre de morts dans d’autres conflits dans le monde, et qui s’appuie sur trois listes : celle fournie par le ministère de la Santé, qui comprend les corps identifiés dans les hôpitaux ou les morgues ; une autre issue d’une enquête en ligne lancée par le même ministère, dans laquelle les Palestiniens ont signalé le décès de leurs proches ; et une dernière établie à partir de notices nécrologiques publiées sur des réseaux sociaux comme X, Instagram, Facebook et WhatsApp, lorsque l’identité du défunt a pu être vérifiée. Les chercheurs ont ensuite examiné les listes à la recherche de doublons. «Nous avons cherché les chevauchements entre les trois listes […] afin d’obtenir une estimation totale de la population tuée», a précisé auprès de l’AFP Zeina Jamaluddine, épidémiologiste à la London School of Hygiene and Tropical Medicine.
Seuls les personnes «dont le décès avait été confirmé par leurs proches ou par les morgues et les hôpitaux» ont été comptabilisées. Ce bilan n’inclut donc pas les milliers de disparus que l’on pense enterrés sous les décombres – près de 10 000 habitants, selon l’agence humanitaire des Nations unies OCHA – et pas davantage les morts indirectes, dues au manque de soins ou de nourriture du fait du drame humanitaire qui a frappé l’enclave en même temps que les bombes : la faim, les maladies, les déplacements de population. Ou encore l’impossibilité de prendre en charge des patients du fait de l’effondrement du système de santé – l’hôpital Kamal-Adwan, le dernier encore en activité dans la bande de Gaza, a été mis hors service fin décembre par un raid de l’armée israélienne, qui a arrêté son personnel et son directeur, le docteur Hossam Abou Safiya. Ce qui veut dire que même revu à la hausse par le Lancet, le bilan humain est probablement encore sous-estimé.
«Bonne estimation»
Les auteurs de l’étude ont appelé à la prudence en expliquant que les listes publiées par les hôpitaux n’indiquent pas toujours la cause du décès, de sorte qu’il est possible que des personnes souffrant de problèmes de santé non traumatiques, tels qu’une crise cardiaque, aient été incluses, ce qui pourrait conduire à une surestimation. Malgré cela, Patrick Ball, un statisticien du Human Rights Data Analysis Group, basé aux Etats-Unis, qui n’a pas participé à l’étude du Lancet, mais qui a utilisé la méthode statistique de capture-recapture pour estimer le nombre de morts lors de conflits au Guatemala, au Kosovo, au Pérou et en Colombie, a assuré à l’AFP que cette technique éprouvée avait fait ses preuves de longue date et qualifié l’étude du Lancet de «bonne estimation». Kevin McConway, professeur de statistiques appliquées à l’Open University britannique, a précisé à l’AFP qu’il y avait «inévitablement beaucoup d’incertitude» lorsqu’on fait une estimation à partir de données incomplètes. Il a toutefois jugé «admirable» que les chercheurs aient utilisé trois méthodes d’analyse statistique pour vérifier leurs estimations. «Dans l’ensemble, je trouve ces estimations raisonnablement convaincantes», a-t-il dit.
Le dernier bilan publié jeudi par le ministère de la Santé de l’enclave, faisait état de 46 006 morts au cours des quinze mois de guerre, principalement dans des bombardements israéliens.