Face à une probable explosion des cas de Covid-19 en Chine après la fin de la politique zéro Covid, de nombreux Chinois se tournent vers la médecine traditionnelle. Un traitement en particulier, le Lianhua Qingwen, semble être particulièrement en vogue, malgré une absence de preuve scientifique quant à son efficacité pour lutter contre le virus Sars-CoV-2.
Ses ventes ont explosé. Il est en rupture de stock dans plusieurs provinces chinoises. Et le cours de l’action du laboratoire qui l’a mis au point a grimpé de 45 % en un mois. Le Lianhua Qingwen de Yiling Pharmaceutical apparaît comme l’un des grands gagnants de la fin progressive de la politique zéro Covid en Chine, assure le quotidien South China Morning Post, jeudi 8 décembre.
Ce remède de médecine traditionnelle chinoise, officiellement approuvé par Pékin pour traiter les symptômes du Covid-19, avait déjà été victime de son succès début novembre à Shijiazhuang, dans le nord du pays. Dans cette ville de 11 millions d’habitants, l’une des premières à être revenue sur certaines des mesures les plus strictes de la politique sanitaire chinoise, les stocks de Lianhua Qingwen de plusieurs pharmacies avaient été vidés en quelques heures, avait relaté le Financial Times, mi-novembre.
Déferlante de cas à attendre ?
Cette frénésie d’achat a tout à voir avec le rebond annoncé des contaminations au Sars-CoV-2. « Tous les pays qui abandonnent une approche prônant le zéro Covid pour une politique de cohabitation avec le virus connaissent tout d’abord une forte vague d’infections. Cela a été le cas, par exemple, avec l’Australie, et très probablement avec la Chine », assure Paul Hunter, spécialiste des maladies infectieuses émergentes à l’université d’East Anglia à Norwich (Angleterre).
Mais la Chine doit se préparer à une déferlante du Covid-19 particulièrement virulente, avertissent la plupart des experts. La faute, en partie, au refus de Pékin d’importer des vaccins occidentaux pour privilégier une solution 100 % « made in China ». « On sait que ces vaccins chinois sont un peu moins efficaces pour protéger contre les formes graves de la maladie que les vaccins à ARN messager [de Moderna et Pfizer, NDLR] », souligne Paul Hunter.
En outre, les autorités chinoises « ont probablement trop tardé pour abandonner la politique du zéro Covid », poursuit l’expert. La dernière campagne de vaccination a eu lieu il y a plus d’un an et « la protection des vaccins contre les formes sévères du Covid-19 dure environ 12 mois. On estime ainsi que près de la moitié de la population chinoise ne bénéficie plus de cette immunité vaccinale », conclut Paul Hunter.
D’où la ruée des Chinois vers des traitements préventifs ou des remèdes alternatifs. Ainsi, le Lianhua Qingwen n’est, ainsi, pas la seule solution de médecine traditionnelle à connaître un vif regain d’intérêt. Et les portails internet de santé, tels que Ping An Good Doctor ou JD Health International, sont les nouvelles coqueluches des boursicoteurs qui s’attendent à une explosion de requêtes pour des médicaments anti-Covid, souligne le South China Morning Post.
Une recette qui remonte à la dynastie Han
Mais le produit star de Yiling Pharmaceutical est de loin celui qui semble le plus recherché, note le site américain d’information économique Quartz. Pourtant, le Linhua Qingwen n’a pas été développé pour lutter contre le Covid-19. Il avait été mis au point en 2003, lors de l’épidémie de Sras en Asie et, un an plus tard, vendu comme un remède contre la grippe et les coups de froid.
Au fil des ans, il est devenu l’une des principales poules aux œufs d’or de Yiling Pharmaceutical, un empire pharmaceutique fondé en 1992 et dirigé par Wu Yiling, qui a longtemps été l’homme le plus riche de Chine.
Le Linhua Qingwen est présenté comme le descendant moderne d’une recette mise au point durant la dynastie Han (206 av. J.-C. à 220 apr. J.-C). Le remède contient treize ingrédients – dont du chèvrefeuille, de la rhubarbe, des noyaux d’abricot ou encore de la poudre du fruit de forsythia (petit arbuste à feuilles jaunâtre).
Dès le début de la pandémie de Covid-19, les autorités chinoises ont promu le Linhua Qingwen comme un complément pour traiter les symptômes du Covid-19, voire comme un médicament préventif.
Pour Pékin, ce recours à la médecine traditionnelle constituait, à la fois, un bon moyen pour se différencier des pays occidentaux tout en s’appuyant sur des solutions très prisées par les classes populaires chinoises, raconte la BBC.
Seul problème : aucune étude scientifique internationale n’est venue corroborer les allégations chinoises sur l’efficacité de cette médecine traditionnelle pour lutter contre le Covid-19. Seuls quelques articles publiés par des chercheurs chinois ont soutenu que le Linhua Qingwen pouvait faciliter la rémission en cas de symptômes légers.
Un composant qui se retrouve aussi dans la méthamphétamine
« Je veux bien croire que ce type de remède peut alléger certains symptômes, comme le mal de gorge ou la toux, mais jusqu’à preuve du contraire, rien n’indique qu’il est d’une quelconque utilité pour prévenir les formes graves », indique Paul Hunter.
En outre, les autorités sanitaires de plusieurs pays – comme aux États-Unis et en Australie – craignent que les effets bénéfiques du Linhua Qingwen ne fassent, en outre, pas le poids face aux risques associés au surdosage.
Ce remède peut en effet entraîner des diarrhées, des problèmes cardiaques et causer des dommages à certains organes comme les yeux, souligne la chaîne australienne de télévision ABC news. Aux États-Unis, la vente de ce médicament est même interdite pour une autre raison : il contient de l’éphédrine, qui est l’un des composants de la méthamphétamine – une drogue de synthèse extrêmement addictive.
Des doutes et critiques qui ont fini par percer le mur de la censure médiatique. En avril 2022, Wang Sicong, fils d’un milliardaire chinois, affichait son scepticisme sur Weibo, l’équivalent chinois de Twitter, où il est suivi par plus de 40 millions d’internautes.
Cet influenceur appelait même à mener une enquête sur les activités de Yiling Pharmaceutical. Ses quelques messages avaient entraîné une chute de plus de 20 % du cours de l’action du laboratoire pharmaceutique.
Peu après, l’un des plus populaires sites d’information médicale – Dingxiang Yisheng – mettait également en doute l’efficacité du Linhua Qingwen.
Deux attaques contre l’un des principaux représentants de la médecine traditionnelle chinoise qui ont déplu en haut lieu à Pékin : Weng Sicong et Dingxiang Yisheng ont été rapidement bannis d’Internet.
Mais pour Paul Hunter, au-delà de ces effets secondaires, ces remèdes présentent surtout un autre défi après la fin de la politique zéro Covid. « La crainte est que des gens, qui auront pris l’habitude d’y avoir recours, ne penseront pas à basculer vers d’autres traitements en cas de contamination avec des symptômes graves », résume-t-il. Dans ces cas-là, la foi en ces traitements pourrait être fatale à certains.