Kemal Kiliçdaroglu, candidat unique de l’opposition turque : l’homme qui veut faire tomber Erdogan

La politique est un combat de longue haleine: il a fallu des années et moult défaites à Kemal Kiliçdaroglu, chef du principal parti d’opposition de Turquie, pour s’imposer comme un candidat rassembleur en vue de l’élection présidentielle du 14 mai.
 
M. Kiliçdaroglu, 74 ans, a été officiellement désigné lundi comme candidat de l’alliance de l’opposition turque pour affronter le président Recep Tayyip Erdogan, candidat à sa succession après vingt ans au pouvoir.
 
Son image d’intellectuel réservé l’a longtemps desservi face au chef de l’Etat, qui s’affiche volontiers en homme fort au verbe haut, mais qui devra répondre de la lenteur des secours dans les premiers jours qui ont suivi le séisme dévastateur du 6 février.
 
Des manquements que M. Kiliçdaroglu, ancien haut fonctionnaire issu de la minorité alévie, n’a pas manqué de relever, dénonçant « l’incompétence » et la corruption à la tête du pays.
 
Depuis qu’il en a pris la présidence en 2010, il a progressivement transformé la ligne du Parti républicain du peuple (CHP, social-démocrate), fondé par Mustafa Kemal Atatürk, le père de la Turquie moderne.
 
Kemal Kiliçdaroglu a laissé de côté la défense de la laïcité et de l’héritage nationaliste pour s’ouvrir aux groupes autrefois maintenus à l’écart, comme les Kurdes et les milieux conservateurs.
 
Au risque de mécontenter ses propres rangs, il a noué des alliances avec des partis de droite et fait entrer des femmes voilées au CHP.
 
Fin 2022, le député d’Izmir, silhouette menue et fine moustache blanche, a proposé une loi pour garantir le droit de porter le foulard afin de séduire l’électorat conservateur.
 
– « Monsieur Kemal » –
 
« Bay Kemal » (« Monsieur Kemal »), comme le surnomme le président turc – qui utilise, pour s’en moquer, le terme « bay » traditionnellement réservé aux étrangers -, a réussi en quelques années à s’imposer dans le débat public, obligeant plusieurs fois le gouvernement à faire machine arrière.
 
Celui qui s’est autoproclamé en 2010 « la force tranquille », clin d’oeil à l’ancien président socialiste français François Mitterrand, a mis du temps à trouver le ton juste dans ses discours, régulièrement jugés trop « mous ».
 
La marche de 420 km entre Ankara et Istanbul qu’il a menée en 2017 pour dénoncer l’incarcération d’un député CHP fut pourtant l’une des rares actions menées contre le gouvernement dans le climat répressif qui a suivi la tentative de coup d’Etat de 2016.
 
Elle a permis à cet économiste de formation, nommé à la tête de la puissante Sécurité sociale turque dans les années 1990, d’apparaître en leader ne redoutant pas la confrontation.
 
En 2019, le CHP a raflé les mairies de plusieurs grandes villes, dont Istanbul et Ankara où il a mis fin à 25 ans de règne de M. Erdogan et de son parti.
 
Fort de ces victoires, Kemal Kiliçdaroglu a durci le ton.
 
« Ceci est mon combat pour vos droits. Les riches sont devenus plus riches et les pauvres plus pauvres ! », lançait-il en avril 2022 dans son appartement plongé dans la pénombre, le courant coupé après qu’il eut refusé d’honorer ses factures d’électricité pour protester contre la forte hausse des tarifs.
 
Sa visite pour demander des comptes à l’institut statistique turc – auquel il reproche de sous-estimer les chiffres de l’inflation – ou ses mises en garde aux milieux d’affaires, qu’il accuse de s’être enrichis par leur proximité avec le pouvoir, ont contribué à son image de probité.
 
– Alévi –
 
Malgré ces succès, beaucoup lui reprochent encore un manque de charisme et voient ses origines comme un handicap.
 
Né dans la région historiquement rebelle de Dersim (rebaptisée Tunceli, dans l’Est), à majorité kurde et alévie, M. Kiliçdaroglu convaincra difficilement les électeurs sunnites conservateurs, estiment certains observateurs.
 
Ne respectant pas certaines règles et rites de l’islam, les Alévis, victimes de discriminations et de massacres par le passé en Turquie, sont encore considérés comme des hérétiques par des sunnites rigoristes.
 
S’il était élu, M. Kiliçdaroglu serait le premier Alévi à accéder à la présidence turque.
 
Pour autant, même ses détracteurs – donc beaucoup auraient préféré les candidatures des populaires maires d’Istanbul ou d’Ankara, Ekrem Imamoglu et Mansur Yavas – lui accordent d’être un des rares à pouvoir rassembler l’opposition.
 
Ils lui font aussi confiance pour ne pas se muer en « Erdogan bis » qui abuserait, une fois élu, des très larges pouvoirs accordés au président par l’actuelle constitution, avant le retour au système parlementaire promis par l’opposition.

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