Yirga Adom refuse de retourner à Bora depuis qu’il a fui la ville pour Mekele, la capitale du Tigré. C’était le 8 janvier 2021, un jour sombre gravé dans sa mémoire : « Une milice a affronté les soldats fédéraux et l’a emporté. Ensuite, l’armée est arrivée avec 40 camions et a tiré sur les civils. Les militaires ont ordonné de tuer tous les hommes de plus de 7 ans. » Il se rappelle : « J’en ai entendu crier : « Tuez-les ! Abattez-les sans pitié ! » J’entends encore le bruit des tirs. J’essaie d’oublier en buvant, en allant à l’église, mais l’image de ces gens est encore dans ma tête. »
120 km au Sud, Bora est toujours hantée par la tuerie. Responsable local, Asseo Tefere s’arrête sur une place de terre au pied d’un arbre. Les soldats y auraient exécuté 30 personnes le jour du massacre : « Ils ont pris des jeunes, des fermiers, des enseignants, les accusant d’être des rebelles. Ils les ont amenés ici et les ont tués. » Et l’horreur continue : « Les militaires nous ont interdit d’enterrer les corps pendant des jours. Les cadavres pourrissaient et les charognards venaient les manger. Ces criminels devraient être jugés et condamnés pour génocide. »
Mais au détour de la conversation, l’homme révèle qu’il appartenait à la milice ayant combattu les soldats la veille du massacre et qui serait l’élément déclencheur du bain de sang :« Les soldats voulaient savoir qui étaient les miliciens. Personne n’a révélé les noms, alors ils ont enfermé des femmes et des enfants dans une maison. Nous avons décidé de nous battre et nous avons pris le dessus. Mais je ne regrette rien. Dès le début, en prenant nos familles, nous savions ce qui allait se passer. Il fallait qu’on se batte. »
Dans leur folie meurtrière, les soldats auraient pratiqué un porte-à-porte macabre, abattant des habitants maison après maison. Burho Mogus a le visage marqué après avoir vu son frère exécuté devant chez elle : « Il s’appelait Kal Ayu. Trois soldats sont venus chez nous et l’ont accusé d’être un rebelle. Ils l’ont sorti et l’ont abattu à l’AK47. Après, ils nous ont dit que nous n’avions pas le droit de pleurer… » Elle poursuit, en colère : « Ce sont les gens les plus cruels qui soient. S’ils étaient en face de moi, je les tuerais tous. Ma mère continue de pleurer la mort de son fils. »
Negus Mara Berhe est enseignant. Il se trouvait dans la boutique de son frère lorsque l’attaque a commencé : « Les soldats étaient basés dans le lycée. Ils sont arrivés très en colère et ont tué mon frère d’une balle dans la poitrine tirée par un fusil sniper. Alors que c’était un simple marchand. J’attends maintenant une justice et des compensations. »