Entretien: Seckou Keïta, une véritable incarnation de la culture mandingue

Dans le mythique empire mandingue, la chanson occupait une place prépondérante pour la tradition. Messagère des sages, porte-parole des rois, elle insufflait à l’âme mandingue le sens de l’équilibre et l’amour de la paix nécessaires au maintien d’un si vaste empire. La légende disait que ceux qui portaient les noms Diabaté, Kouyaté, Cissokho, Konté ou encore Dramé étaient les seuls maîtres incontestés de cette pratique. 

Mais tout porte à croire que le chanteur sénégalais Seckou Keïta fait exception à la règle, avec son nom de famille qui est un symbole de noblesse et d’allégresse. Issu d’une lignée noble chez les Keïta, le chanteur exprime sa passion sous l’influence de sa mère issue de la lignée des Cissokho. Seckou Keïta est l’un des artistes sénégalais les plus sollicités à l’international grâce à sa musique et son instrument traditionnel la kora. Basé à Londres en Angleterre depuis deux 10 décennies Seckou a mis sur le marché une dizaine d’albums qui ont eu un succès. À l’occasion de la sortie de son nouvel album intitulé « Homeland », l’artiste a accordé un grand entretien à Seneweb. Une occasion pour lui de renouer avec le public à travers un message fort adressé à ses ancêtres. 
 
 
Dans la légende mandingue, il était toujours entendu que les Keïta sont de la lignée noble. Qu’est-ce qui vous a influencé à faire de la musique ? 
 
Je suis né dedans, tout simplement. C’est vrai que mon père est un Keita et donc historiquement, les griots racontent l’histoire et les épopées de nos ancêtres et de notre famille. Mais ma mère est Cissokho. C’est une grande famille de musiciens en Casamance et aussi à travers toute l’Afrique de l’Ouest. J’ai grandi dans un environnement où la musique est omniprésente. J’ai  été élevé par mes grands-parents Jali Kemo Cissokho et ma grand-mère Bintou Konté. J’ai donc grandi avec mes oncles et tantes, certains avaient le même âge que moi ou étaient même plus jeunes ! Et donc, dans les familles griottes, on se lève et on se couche avec la musique et les histoires de la tradition mandingue.
 
 Pourquoi avez-vous choisi de vous installer en Angleterre ? 
 
C’est là-bas que ma première fille est née. J’y suis allée en 1998, avant sa naissance. Entretemps, j’ai eu beaucoup d’opportunités de concerts et de collaborations. Depuis, j’y suis régulièrement, mais je voyage beaucoup avec la musique. Et chaque année, je reviens plusieurs fois au pays, chez moi en Casamance. 
 
 Quelles sont vos influences musicales ? 
 
Mes premières inspirations viennent directement de ma famille. D’abord, mon grand-père Jali Kemo Cissokho qui était un grand joueur de kora et griot. Il m’a tout appris de la tradition et de l’histoire du mandingue. Puis, mon oncle Solo Cissokho qui a révolutionné  la kora en l’intégrant dans une musique vibrante et dansante. C’était un musicien extraordinaire et une personne authentique et très généreuse sur scène. Il était mon mentor et mon inspiration, et je l’ai accompagné en tant que percussionniste à travers tout le Sénégal qui vibrait de sa musique. Puis, j’ai découvert d’autres joueurs de kora comme Toumani Diabaté qui m’ont aussi inspiré. 
 
À travers mon enfance et adolescence, j’étais aussi très attiré par la percussion et les rythmes qui font vibrer le peuple sénégalais, tous les peuples, y compris les Diolas, les Wolofs, les Peuls… Et j’ai rapidement adoré découvrir les rythmes et sonorités qui venaient de toute l’Afrique. C’est une véritable source de richesse inépuisable que j’aime à intégrer dans ma musique. Et bien sûr, avec les voyages et les collaborations, j’ai rencontré d’autres artistes et autres traditions musicales de la musique classique, au jazz, en passant par la musique arabe, indienne ou folk.  Au final, quand la musique est bonne, il y a toujours des connexions à faire. Et c’est cet esprit qui m’anime et m’influence chaque jour.
 
Êtes-vous authentique dans vos œuvres musicales ?
 
Si vous voulez dire être toujours dans la tradition mandingue de la kora, je dirai que oui, car même si je cherche toujours à innover et à chercher d’autres sons, la tradition mandingue est à la base de tout ce que je fais. Je ne peux pas m’en échapper. Mais ma musique n’est pas traditionnelle. Je ne sais pas comment la décrire, car elle est tellement variée. Mais, en fin de compte, tout ce que je compose ou que je joue devant un public, ça vient du cœur et je donne toujours tout de moi-même. Il y a bien sûr la technique de la kora, le suivi de la composition du morceau. Mais il y a aussi toutes les émotions du moment que ce soit la joie, la tristesse, la fatigue, l’engouement. Avec les années, j’ai appris à lâcher prise et à jouer avec le moment présent et à accepter toutes ces émotions dans ma musique. Chaque fois que je joue, la chanson est la même et en même temps différente. Mais il y a toujours cette sincérité et cette authenticité qui apportent une touche très spéciale qui me surprend souvent moi-même. 
 
 D’où est venu cet amour que vous portez pour la kora ? 
 
Comme je l’ai dit, au départ ça vient de la maison, de la famille et de la familiarité que j’ai avec cet instrument. Mais ce n’est pas parce qu’on est issu d’une famille de kora fola qu’on devient joueur de kora. Il y a aussi autre chose. Pour moi, c’est une fascination avec l’instrument et les possibilités infinies d’exprimer un sentiment, une pensée, une envie, un voeu, une prière.
 
 Après plusieurs singles couronnés de succès, vous venez de sortir votre nouvel album « Homeland ». Qu’en est-il pour cette nouvelle production ?  
 
C’est un album, c’est un rêve de longue date. Depuis 2013, je joue avec beaucoup de musiciens européens, cubains, brésiliens et j’adore ce que j’ai fait avec eux. C’était et ça reste encore magique pour moi. Mais cela me manquait aussi de jouer avec des musiciens africains. Avec cet album, j’ai pu connecter et reconnecter avec des musiciens africains. J’ai beaucoup travaillé avec le producteur  Moussa Ngom qui, finalement, a coproduit cet album avec moi. Je voulais utiliser la richesse illimitée des rythmes sénégalais et d’Afrique de l’Ouest en général, mais je voulais aussi ajouter une touche plus urbaine, plus moderne. C’est une production assez ambitieuse qui a mis près de deux ans de travail. On a pris notre temps, car on voulait faire quelque chose qui touche mes frères et mes sœurs.  
 
 
Quel est l’objectif de cet album ? 
 
Avec « Homeland », je cherchais à reconnecter avec des musiciens sénégalais pour présenter cette musique et retrouver les rythmes qui nous font vibrer, partager du bonheur avec le public. Les faire danser, chanter, sourire. Jouer en concert est une partie essentielle de ma vie ; ça n’a pas de prix. Mais l’objectif, c’est également d’explorer le thème de la terre natale. Elle commence où ? Elle s’arrête où ? Si tu es né à Ziguinchor, comme moi, es- tu casaçais, sénégalais, africain, citoyen du monde ? Si ta mère est née à Bamako et ton père à Taiwan ? D’où viens-tu ? Qui es-tu ? Car si je me sens 100 % casaçais et que quand je suis à Zig, je suis chez moi, j’ai aussi de la  famille, des amis, mon travail qui sont aux quatre coins du monde. Et chaque fois que je suis dans leur présence, je me sens aussi chez moi. Nous vivons dans un monde qui se referme de plus en plus. Il est important que chacun se pose cette question pour réaliser qu’au final, la terre n’appartient à personne et à tout le monde en même temps. Il est important de se souvenir que l’homme est né en Afrique et qu’il a bougé, voyagé, évolué. Si on explore cette question avec sincérité, peut-être que ça pourrait réduire la haine.
 
À travers cet album, on a l’impression que vous faites un clin d’œil à vos ancêtres du Sénégal ! Êtes-vous nostalgique ?
 
Dans tous les albums que j’ai faits, il y a toujours des clins d’œil à mes ancêtres. Dans mon premier album « Mali », j’ai commencé à jouer des morceaux sur des accords qui n’existaient pas dans le répertoire de la kora. Dans mon dernier album « African Rhapsodies », j’ai pu placer au centre d’un orchestre symphonique avec plus de 60 musiciens. Et là, je mélange l’acoustique et l’électrique, le traditionnel avec des sonorités pop, hip-hop ou urbaines. Dans tous les cas, il y a toujours un moment où je me demande ce qu’auraient pensé mon grand-père et mes ancêtres. Mais c’est vrai qu’avec cet album, je voulais aussi mettre en valeur le rôle de conteur, du griot. C’est comme ça que nous avons commencé. À l’époque, la musique n’était qu’une manière de soutenir la palabre, le texte. 
 
Quelle est la suite de vos activités après  « Homeland »  ? 
 
Jouer ces morceaux en concert. Là, je démarre une tournée en Angleterre et en Belgique, et j’ai invité six musiciens sénégalais à tourner à mes côtés : Korka Dieng (chant), Moustapha Gaye (guitar), Moussa Ngom (clavier, sound design), Modou Guèye (bass) Dialykemo Cissokho (percussions) et Matar Ndiongue (batterie et drum pad). J’adore travailler avec eux et nous avons trop hâte. J’espère aussi que l’aventure continuera avec peut-être des concerts au Sénégal et en Afrique. L’avenir nous le dira.
 
Seneweb vous invite découvrir un extrait de son nouvel album « Homeland » intitulé « Wakili », qui signifie courage en langue mandingue. 
 
 
 
 
 
 

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