Un fait inédit depuis son apparition dans les années 70. Tous les jours, l’astre national « Le Soleil » rayonne sur le paysage médiatique sénégalais. Mais depuis, le jeudi 4 août, le Soleil ne s’est pas levé. C’est une première. Les choses se sont accélérées, le 3 août suite à l’interpellation puis la libération de 11 journalistes. Ces deux faits n’ont pas laissé indifférents beaucoup de Sénégalais et observateurs du paysage médiatique. Les anciens journalistes de la maison jettent un regard sur cette inédite éclipse.
Un rayon des occurrences. Depuis 2009, le quotidien national est secoué de temps à temps par des crises plus ou moins éphémères. Mais depuis décembre 2022 voire bien avant, ça chauffe toujours au « Soleil ». Le 3 août, une ligne rouge a été franchie. Du moins, c’est la conviction des anciens de ce journal. « Le paysage médiatique sénégalais n’a pas connu pareille éclipse, depuis cinquante-deux ans : deux jours sans l’astre national, sous de sombres nuages déversant intempestivement leurs eaux dans la capitale n’en a que faire », a écrit Amadou Fall, un ancien directeur des Rédactions du « Soleil » dans une contribution intitulée : « Plaidoyer pour le Soleil, premier né de la nation ».
La crise pour ce brillant journaliste spécialiste des questions économiques a atteint son paroxysme. D’ailleurs, il semble regretter l’indifférence des autorités par rapport à cette crise qui perdure depuis des mois. « Les autorités leur doivent des réponses qui, pour le mieux, participeraient à ramener la raison sur les passions, taire les rancœurs, donner satisfaction aux revendications légitimes et incompressibles des travailleurs et asseoir un mode de direction et de management répondant aux exigences qui doivent être celles d’une entreprise de presse de service public », a lancé l’ancien Directeur des Rédactions.
Certains anciens de l’entreprise, n’ont pas hésité à reprendre leur plume pour démontrer l’importance de sauver le patrimoine national en péril. Un autre ancien Directeur des rédactions du ‘’Soleil’’ Habib Demba Fall met en relief la place centrale de ce journal dans la construction de l’unité nationale. « Une histoire. Une identité. Un héritage. Beaucoup de sueur dans la culture du don de soi. Un égal engagement pour la République en débit de ce sempiternel procès en connivence avec les différents pouvoirs. L’image de ce journal a payé un tribut à la politique. La dignité de ses vrais professionnels a rayonné au-dessus des tempêtes internes et des contingences partisanes », écrit Habib Demba Fall, une note intitulée « Un regard de ma République sur le Soleil » publiée sur la page Facebook.
Pourtant, certaines plumes avaient prédit ce scénario catastrophe. C’est le cas de Ansoumana Sambou, qui a pris sa retraite, il y a moins de 3 ans. Pour ce dernier, l’Etat est le seul responsable de ce pourrissement.
« Cette situation ne me surprend guère. Je pense que l’Etat est entièrement responsable de ce qui prévaut actuellement au Soleil », a réagi le journaliste sportif. Le pêché de l’Etat serait, selon M. Sambou, le fait d’avoir choisi un homme « qui n’a pas le profil requis » pour diriger le journal.
Le journaliste qui a décroché depuis janvier 2019 se rappelle des situations dans lesquelles se trouvait le journal. « Tout ce que les travailleurs ont dit est vrai et il y a même des choses omises », dit-il. Ansoumana Sambou a aussi déploré le fait que la SSPP « Le Soleil » ne détient qu’un seul produit alors que des prédécesseurs de l’actuel DG avaient lancé des magazines comme « Le Soleil Business ». Le journaliste à la retraite estime que ses anciens collègues doivent aller jusqu’au bout de leur logique pour dit-il « contraindre les autorités à réagir ».
Beaucoup moins radicale, le journaliste Mbaye Dramé préfère que le dialogue soit privilégié. « Si la Direction avait été beaucoup plus flexible, on ne serait pas là aujourd’hui. J’ai été membre du Conseil d’administration et je suis en mesure de vous dire que Le Soleil n’est pas difficile à gérer », pense Mbaye Dramé.
Le mode de nomination des DG en question
Au-delà de la personne de Yakham Mbaye, d’autres pensent qu’il faut revoir le mode de nomination des Directeurs Généraux des médias du service public pour régler de manière durable leurs problèmes. Idrissa Sané, un autre ancien du quotidien, est persuadé que la donne doit changer. « Depuis 2009, j’avais défendu l’idée selon laquelle, il faut aller vers un appel à candidatures pour régler les problèmes des organes de presse du service public », renchérit-il.
Aujourd’hui, la tension est à son comble. Les deux camps ont dépassé le temps de dialogue. A noter que les anciens avaient entamé des négociations. Malheureusement, elles ont achoppé sur l’inflexibilité de la Direction générale. L’intersyndicale exige entre autres la préservation de leurs acquis, la bonne gouvernance et le respect de la dignité des travailleurs. D’ailleurs, depuis 3 août il y a eu une cascade de démissions au sein du directoire de la rédaction. Il s’agit de Sidy Diop, Malick Cissé, Maguette Ndong, de El Hadj Ibrahima Thiam. L’éclipse pourrait durer au grand regret des anciens.