« Connaissez-vous Tinder? », lui lance ainsi Celia. Face au pape octogénaire, les looks décontractés – décolletés, shorts, tatouages, piercings, casquette à l’envers et cheveux colorés – contrastent avec le strict protocole vestimentaire en vigueur dans les couloirs du Vatican.
« C’est bien que les gens se rencontrent, c’est normal », répond François, qui semble découvrir l’application de rencontres.
Dans « Conversations avec le pape », disponible à partir de mercredi sur la plate-forme Disney+, le jésuite argentin est poussé dans ses retranchements par des jeunes âgés de 20 à 25 ans – catholiques, athées ou musulman – aux profils très divers.
Du féminisme aux migrations en passant par la santé mentale et les droits LGBT+, un large éventail de sujets de société, souvent lourds, sont abordés sans tabou. Jusqu’aux plus inattendus, comme lorsqu’une créatrice de contenus pornographiques évoque son rapport à la masturbation.
Si certains ne peuvent retenir leurs larmes en confiant leurs blessures personnelles, aucun ne prend de pincettes au moment de s’adresser au pape, quitte à le tutoyer ou critiquer l’attitude de l’Eglise catholique. Une liberté de ton qui tranche avec les traditionnelles interviews accordées par l’évêque de Rome.
« Que pensez-vous des membres de l’Eglise ou des prêtres qui promeuvent la haine et utilisent la Bible pour soutenir un discours de haine? », demande ainsi Celia, qui se définit comme personne non-binaire.
« Ces gens sont des infiltrés qui utilisent l’Eglise pour leurs passions personnelles, pour leur étroitesse personnelle », fustige le pape.
Les questions provoquent parfois des débats nourris, notamment sur la pornographie ou la gestion des cas de pédocriminalité, à l’image de Juan, victime d’un religieux qui interpelle le pape sur son dossier après une sanction du Saint-Siège jugée insuffisante.
« Cela me fait mal que la peine ait été légère », répond François, s’engageant à ce que « l’affaire soit rééxaminée ».
« Moins de révérence
Loin d’être choqué, le souverain pontife maintient son habituel discours d’ouverture envers l’orientation sexuelle et l’identité de genre. « Chaque personne est un enfant de Dieu. L’Eglise ne peut fermer la porte à personne », insiste-t-il.
Tant bien que mal, il tente aussi d’expliquer la position de l’Eglise sur l’avortement ou le non accès des femmes au sacerdoce, sans convaincre pour autant son auditoire.
Pour les deux co-réalisateurs espagnols, Jordi Évole et Màrius Sanchez, l’objectif était de « réunir deux univers qui ne communiquent pas d’habitude et de voir l’une des personnes les plus influentes de la planète dialoguer avec un groupe de jeunes dont le mode de vie heurte parfois de front les principes de l’Église ».
« Nous l’avons traité avec moins de révérence que celle à laquelle est habitué (…) Nous utilisons le sens de l’humour, le sarcasme », explique à l’AFP Màrius Sanchez, se félicitant d’avoir créé avec lui une « relation de confiance et de franchise ».
Le film de 80 minutes, réalisé à partir d’une conversation de quatre heures dans un style très cinématographique, a été tourné en juin 2022 dans le quartier populaire du Pigneto, à Rome. Il sort la semaine précédant Pâques, temps fort du calendrier chrétien, et quelques jours après l’hospitalisation de François pour une bronchite.
Les dix interlocuteurs du pape, pour la plupart originaires d’Amérique du Sud, ont été sélectionnés parmi 150 jeunes adultes du monde entier pour les questions qu’ils souhaitaient poser.
Le documentaire s’ouvre par de rares images de François attablé à son bureau et dans le réfectoire de la résidence Sainte-Marthe où il vit, au Vatican. On y découvre aussi des séquences plus légères, nourries de plaisanteries ou de confidences sur sa vie personnelle.
L’ancien archevêque de Buenos Aires explique également ne pas avoir de téléphone portable. « Je suis un peu anachronique », admet-il. Quant à ses comptes Twitter, suivis par quelque 54 millions de personnes, « ce sont mes secrétaires qui les gèrent », sourit-il.