Chine: les causes de la purge anticorruption visant l’armée

Le ministre chinois de la Défense, Dong Jun, est la cible d’une enquête pour corruption, affirme le journal britannique Financial Times.
 
L’occasion de se pencher sur les grandes étapes de cette campagne antianticorruption visant l’armée, qui survient au moment où Pékin renforce sa puissance militaire.
 
– Une « méfiance chronique » –
Le président chinois Xi Jinping mène depuis son arrivée au pouvoir une vaste campagne anticorruption, qui s’est élargie à l’armée. Si ses partisans y voient un outil de bonne gouvernance, ses détracteurs jugent qu’elle lui sert à éliminer ses rivaux sur le plan politique.
 
Depuis l’été 2023, près de 20 responsables militaires et de l’industrie de la défense ont été démis de leurs fonctions, dont les deux derniers ministres de la Défense.
 
Selon les médias d’État, Wei Fenghe et son successeur Li Shangfu ont été exclus du Parti communiste et sont visés par une enquête pour corruption.
 
« Xi Jinping semble avoir une méfiance chronique envers ses hauts responsables militaires », affirme à l’AFP Ankit Panda, expert à la Fondation Carnegie pour la paix internationale, un cercle de réflexion américain.
 
Les analystes considèrent que ces purges sont liées à une enquête plus large visant la Force des fusées, une unité cruciale car responsable des missiles nucléaires et conventionnels de l’armée chinoise.
 
Les deux anciens ministres de la Défense étaient tous deux liés à cette unité: Wei Fenghen l’a un temps dirigée, et Li Shangfu a été à la tête d’un département en charge des armes, et notamment des missiles.
 
Trois autres hauts responsables d’organisations publiques chargées de la défense antimissile ont été évincés en décembre 2023. Le chef de la Force des fusées, Li Yuchao, et le chef d’état-major, Sun Jinming, ont également été expulsés du Parti et visés par une enquête en juillet.
 
– Campagne plus large –
La mise à pied de Dong Jun, si elle est confirmée, pourrait indiquer un élargissement de la répression. Le ministre de la Défense, nommé en décembre, n’avait aucun lien avec la Force des fusées, ayant passé toute sa carrière dans la marine.
 
Sa chute présumée suggère que « la corruption dans l’armée chinoise est encore plus profonde que ce que l’on imaginait », affirme à l’AFP Neil Thomas, chercheur au sein de l’organisation américaine Asia Society.
 
Cette campagne a lieu sur fond d’intensification de la pression militaire chinoise sur Taïwan et autour des territoires qu’elle revendique en mer de Chine méridionale.
 
Les analystes jugent que la corruption au sein de l’armée pourraient remettre en question le niveau de préparation au combat de l’armée chinoise.
 
« La corruption dans l’armée chinoise soulève à juste titre des questions sur sa capacité à atteindre ses objectifs militaires et à achever le +grand renouveau+ souhaité par Xi Jinping », affirme Heather Williams, du Centre d’études stratégiques et internationales, un cercle de réflexion américain.
 
– Dysfonctionnements –
L’agence financière Bloomberg, citant des sources au sein du renseignement américain, affirme que la corruption rampante au sein de la Force des fusées aurait entraîné des dysfonctionnements de certains équipements, voire l’utilisation d’eau pour remplacer le carburant de missiles.
 
« Si cela est confirmé, ces défaillances pourraient compromettre le fonctionnement des missiles, et remettre en question le niveau de préparation de la force nucléaire chinoise », écrit la Fédération des scientifiques américains dans une lettre ouverte.
 
La campagne en cours « pose la question de savoir à qui Xi Jinping peut encore faire confiance, et interroge sur la profondeur des scandales qui ont conduit à la chute de ces hauts responsables », note Joel Wuthnow, professeur à l’Université de la Défense nationale des États-Unis.
 
« Cela a forcément un énorme effet de distraction (…) au moment où il presse l’armée chinoise à être prête à une guerre avec Taïwan d’ici 2027 ».
 
Ce mois-ci, Xi Jinping a passé en revue des unités de l’armée de l’air dans la province du Hubei (centre), les encourageant à éliminer la corruption et à « renforcer la préparation aux combats militaires ».
 
Avec la mise à l’écart présumée du troisième ministre de la Défense consécutif, les analystes estiment que la campagne anticorruption pourrait entraver cet objectif.
 
Selon Victor Shih, politicien et spécialiste de l’élite dirigeante chinois, « la concurrence pour les postes de haut niveau est si féroce qu’il pourrait y avoir des reproches mutuels entre les officiers, entraînant des cycles sans fin d’arrestations, de nouvelles nominations et d’accusations ».

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