Affaiblie en Afrique, la France, prudente, « marche sur des oeufs » au Sénégal

Depuis que le président sénégalais Macky Sall a annoncé le 3 février le report de la présidentielle, une décision suivie de manifestations entachées de morts, la diplomatie française s’est montrée très prudente, soulignant la précarité de Paris dans son ancien pré-carré africain, selon des analystes.

Après plusieurs coups d’Etat successifs, au Mali, en Guinée, au Burkina Faso, Niger et Gabon depuis 2021, la France se retrouve confrontée à un nouveau défi dans ce qui était jusque dans les années 1990 sa zone d’influence, son ancien empire colonial.

La « Françafrique », système de corruption, de cooptation politique et de chasses gardées commerciales entre Paris et ses anciennes colonies africaines, n’est plus.

Les putschs au Sahel se sont même nourris d’un vif sentiment anti-français, qui ont abouti à l’éviction de la force antijihadiste Barkhane. Une humiliation pour Paris.

Des commerces battant enseigne française ont aussi été brûlés au Sénégal, autre ancienne colonie, où vivent 25.000 Français ou binationaux, lors d’émeutes contre le pouvoir ces dernières années, Macky Sall étant perçu comme un proche d’Emmanuel Macron.

Les dirigeants français, avant toute réaction sur la crise sénégalaise, « ont en tête plusieurs images, notamment celle de tous ces petits entrepreneurs français et leurs familles qui ont quitté Abidjan » durant la crise ivoirienne, estime Roland Marchal, chercheur spécialiste de l’Afrique à Science Po. Ce qui les pousse, pense-t-il, à la modération.

Le ministère français des Affaires étrangères s’est ainsi fendu d’un communiqué très sobre au lendemain de l’annonce du report sine die de la présidentielle par le président sénégalais, appelant à ce que les élections « puissent se tenir dans le meilleur délai possible ».

Silence

L’Assemblée nationale sénégalaise a ensuite approuvé un ajournement au 15 décembre, après avoir expulsé les députés de l’opposition. Puis des manifestations ont fait trois nouveaux morts le week-end dernier au Sénégal.

Lundi, Paris a alors appelé Dakar à « faire un usage proportionné » de la force et à organiser l’élection « le plus rapidement possible ». Mais sans condamner quiconque.

Dans le même temps, les Etats-Unis se sont dits « particulièrement alarmés » par un report non « légitime » du scrutin. Le porte-parole du secrétaire général de l’ONU Stéphane Dujarric a, lui, demandé aux policiers et gendarmes sénégalais de « ne pas faire un usage meurtrier de la force ».

Jeudi soir, la Cour constitutionnelle sénégalaise a finalement invalidé le report de la présidentielle du 25 février au 15 décembre, le pays se retrouvant en proie à l’une de ses plus graves crises politiques depuis son histoire post-indépendance.

Alors que l’Union européenne a appelé vendredi « toutes les parties » à respecter (cette) décision, Paris a publié un communiqué similaire quelques heures plus tard.

Les autorités françaises, « dans une situation extrêmement délicate », se retrouvent « obligées de surfer sur une vague dont elles ne contrôlent pas vraiment les tenants et les aboutissants », remarque Roland Marchal.

Pas d' »ingérence »

« On leur reproche d’un côté de ne rien dire, quand le Sénégal subit une atteinte à la démocratie. Mais si elles disent quelque chose, on leur dira que c’est une intervention dans les affaires intérieures d’un Etat », juge-t-il.

Mercredi, le ministère des Affaires étrangères Stéphane Séjourné, martelait devant l’Assemblée nationale le postulat à la base de sa diplomatie : « Il n’est pas question d’avoir des ingérences. Y compris dans ce pays-là. »

A Paris, où plus de 2.000 personnes, dont de nombreux Sénégalais, marchaient samedi 10 février, certains scandaient pourtant « Macky démissionne, Macron complice », voyant dans le positionnement de Paris un soutien implicite au président sénégalais.

« On a l’impression que Macky Sall a le blanc-seing du Quai d’Orsay et de Macron pour faire ce qu’il veut ! », dénonce Alioune Sall, député des Sénégalais de l’étranger pro-Ousmane Sonko, l’opposant antisystème actuellement emprisonné.

Craignant tant les accusations d’ingérence que celles de complicité, le Quai d’Orsay et l’Élysée sont dépassés » et « marchent sur des œufs », observe Antoine Glaser, co-auteur du livre « Le piège africain de Macron ».

Qu’importe que la France, supplantée au Sénégal par Chine, Turquie et autres monarchies arabes, n’ait « plus du tout le poids » diplomatique ou économique dont elle pouvait se prévaloir en 1990, « la jeunesse africaine pense toujours que c’est la Tour Eiffel qui tire les ficelles en Afrique », remarque-t-il.

« Piégée », Paris va donc « petit à petit se cacher » derrière l’Union européenne, affirme Antoine Glaser. Ses diplomates, dit-il, « savent que toute parole française dans son ancien pré-carré n’est plus recevable. »

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